Economie circulaire : « nous en sommes aux balbutiements »

Rédigé par Stephen Boucher, le 8 Jul 2015, à 13 h 30 min
Economie circulaire : « nous en sommes aux balbutiements »
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En adoptant les principes de l’économie circulaire, l’Europe pourrait engranger un bénéfice net de 1.800 milliards d’euros en 2030, soit 3.000 euros de revenus chaque année de plus pour tous les ménages d’Europe, selon un récent rapport de la Fondation Ellen MacArthur(1). Mais alors, qu’est-ce qui fait obstacle à une diffusion plus large des six principes de l’économie circulaire, ce modèle dans lequel, comme le nom le suggère, la production est organisée autour d’un cycle de vie des matières premières, naturelles ou non, entrant dans le processus de production ?

L’économie circulaire a de nombreux impacts économiques et environnementaux, mais peu d’entreprises savent concrètement comment l’adopter. Pour mieux comprendre les obstacles à sa diffusion et les solutions possibles, nous avons interrogé Sylvie ThomasDirectrice RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) pour l’Europe de Lexmark depuis 2010, une entreprise qui a commencé à utiliser des matériaux recyclés dans ses cartouches d’imprimantes il y a déjà 20 ans.

consoGlobe : Dans une économie circulaire, la croissance provient « de l’intérieur », en augmentant la valeur dérivée de structures économiques, des produits et des matériaux existants. Malgré des avantages certains – de meilleurs résultats pour la société, y compris une augmentation du niveau de vie, une réduction du coût du temps du fait de la congestion ou une réduction importante des émissions de dioxyde de carbone – peu d’entreprises appliquent les six principes de base de l’économie circulaire. Si le concept de circuit fermé et du « cradle to cradle » est populaire, derrière les discours, quelle est la réalité de la mise en oeuvre dans les entreprises européennes aujourd’hui ?

Sylvie Thomas – L’application des principes de l’économie circulaire reste encore relativement limitée, mais cela dépend des industries. L’industrie leader dans ce domaine, ce fut d’abord l’industrie automobile. Même si celle-ci n’en parlait pas forcément en ces termes, les actions de recyclage et d’utilisation des pièces détachées sont désormais centrales à ce secteur. L’industrie aéronautique est aussi en point, mais les autres secteurs sont à la traîne, et c’est pour ça qu’il y a des fondations qui se sont créées comme la fondation Ellen MacArthur.

Il faut bien avouer toutefois qu’on en est aux balbutiements de l’économie circulaire. Mais il y a une pression croissante des ressources qui fait que ça rend les circuits fermés plus intéressants pour les entreprises, mais cela nécessite de profondes réorganisations des modèles en place.

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consoGlobe : Justement : dans un autre rapport “Delivering the circular economy – a toolkit for policymakers”(2), la Fondation Ellen MacArthur souligne que les opportunités en matière d’économie circulaire sont principalement entravées par des obstacles non financiers et suggère une approche secteur par secteur pour identifier les opportunités, les obstacles et les options politiques. Quelles sont, selon vous, les barrières à la mise en oeuvre d’un tel modèle ?

ST – Souvent je compare le monde de l’entreprise à la faune dans laquelle il vous faut un lion, un crocodile et un éléphant pour faire avancer les choses. Le lion, c’est le roi : si vous n’avez pas l’adhésion du directeur pour un business modèle plus durable, rien ne se passera.

Ensuite il faut les éléphants : dans un groupe, il faut un travail en commun autour de projets bien ciblés, avec une vision globale au départ, mais qui laisse aussi la place aux différents managers, directeurs et sous-directeurs pour la mettre en place. Parce qu’entre le PDG qui est convaincu, et les environnementalistes de la société qui le sont aussi, au milieu, un des obstacles majeures, ce sont les acteurs qui ont des résultats à atteindre, en termes de ventes, etc. Ceux-là n’ont pas pour mandat de réfléchir à comment changer de business modèle, ni de passer d’une offre de produits à une offre de services, mais plutôt à réaliser leurs objectifs, pour lesquels ils ont des partenaires établis sur la chaîne logistique, des fournisseurs précis en termes géographiques, etc. Donc en termes pratiques, pour convaincre en interne, et une fois que le CEO a donné sa vision, il faut des porteurs en interne.

Après vient le crocodile, un des animaux les plus durables dur terre : celui-là va apporter la vision à long terme, pour développer l’innovation technologique qui doit se faire sur le long terme, alors même que dans beaucoup de secteurs, notamment dans l’IT, on réfléchit en termes d’obsolescence à court terme.

Enfin, il faut des citoyens qui deviennent responsables : aujourd’hui, 9 personnes sur 10 se proclament en faveur de produits plus responsables, mais en réalité 1 sur 10 les achètent, pour des raisons diverses. Les enjeux sont simples. Par exemple, ramenez votre cartouche, triez, ça sert à fermer les boucles pour les fabricants responsables ! Faites ce simple geste de tri, c’est un acte crucial pour que ces entreprises opèrent ces changements.

consoGlobe – L’Union européenne proposera fin 2015 une stratégie pour promouvoir l’économie circulaire. A quel niveau l’Union européenne peut-elle aider une entreprise comme la vôtre ?

ST – Nous participons à la consultation de la Commission européenne. Un des enjeux, c’est vraiment de préciser les notions de réutilisation, pourquoi pas de fixer des objectifs de pourcentage de produits réutilisés dans les produits, pour que le consommateur s’y retrouve, qu’il sache si tel ou tel produit est plus vert.

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Après il y a des barrières pratiques. Par exemple la directive WEEE (sur le recyclage des produits électroniques) impose les éco-organismes et des objectifs de réutilisation et de recyclage, mais ça n’est pas suffisant, si notre produit devient un déchet également et qu’on ne peut pas le récupérer, ça empêche la réutilisation de la matière première dont il est constitué.

Un point à faire évoluer, c’est aussi celui des achats publics : les autorités publiques doivent donner des consignes claires avec des critères claires d’achats responsables de leurs produits et services pour que ça fasse boule de neige dans le secteur privé. En France, mais aussi ailleurs en Europe, il y a de bonnes intentions, des règles dans les appels d’offres sur des critères environnementaux, mais au final c’est le prix qui domine.

consoGlobe – Si on prend une entreprise comme la vôtre comme exemple, quelle application faites-vous des principes de l’économie circulaire ?

ST – Dès la création de la société en 1991, on a tout de suite mis en place un programme de collecte des cartouches, alors que ça n’est toujours pas obligatoire, ça le sera avec l’application de la directive WEEE à partir de 2018. Dès 1996 on avait établi des règles de recyclage très strictes, avec 0 mise en décharge et 0 mise à incinération, on a focalisé beaucoup sur la fin de vie et le recyclage responsable. Résultat : on a réduit de 42 % nos émissions de gaz à effet de serre depuis 2005. Dès 1996 on s’est aussi posé la question de la réutilisation de la matière, notamment du plastique, parce que c’est le composant principal dans les imprimantes. On a fait des tests avec des plastiques recyclés, mais la qualité de ces produits en Asie était alors encore insuffisante.

On a dû attendre un peu et on a continué à collecter, et ensuite est née l’idée de démanteler les cartouches pour refaire fondre les plastiques, ce qui a été rendu possible grâce à efforts d’eco-design, on a modifié le design pour faire une cartouche plus simple mais qui puisse être réutilisée plusieurs fois. Aujourd’hui, on atteint 35 % de matière réutilisée, notre objectif est 50 % d’ici 2018. Ça amène aussi à relocaliser la production en Europe, ce qui permet des circuits plus courts d’approvisionnement. Quand on dit que l’économie circulaire recrée de l’économie locale, c’est le cas !

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consoGlobe – Quels bénéfices constatez-vous ? Financiers ? CO ? Sociaux ?

Dans nos imprimantes on a jusqu’à 40 % de plastique recyclé, si toute l’industrie en faisait autant, ça économiserait équivalent des émissions de CO2 de 14 millions de véhicules.

consoGlobe – La récente loi française pour lutter contre l’obsolescence programmée va-t-elle assez loin ?

ST – Les lois comme celle de la transition énergétique qui sont très générales ne peuvent pas inciter une entreprise à faire des changements drastiques. C’est pareil pour de la directive ERP [NDLR : ‘energy related products’ qui définit des règles d’efficacité énergétique] : en fait ce qui marche bien c’est un équilibre entre un signal fort de l’Etat et des accords volontaires de l’industrie pour produire des produits plus efficace énergétiquement par une démarche volontaire, en laissant la concurrence se faire.

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Stephen Boucher est anciennement directeur de programme à la Fondation européenne pour le Climat (European Climate Foundation), où il était responsable des...

1 commentaire Donnez votre avis
  1. Bonjour,

    Il ne reste plus qu’à lever les freins administratifs qui pèsent sur les projets d’énergie renouvelable. Pour prendre un exemple, un dossier pour monter une unité de méthanisation prend 4 à 5 ans pour se concrétiser. Un même dossier en Allemagne est bouclé en à peine 2 ans. Alors que la méthanisation répond parfaitement aux critères de l’économie circulaire.

    A cela, il faut ajouter qu’il y a de plus en plus de réactions “not in my backyard” ou en français “montez votre projet où vous voulez mais pas à côté de chez moi”. L’opposition d’une partie des riverains à toute initiative constitue un handicape. A ce niveau, il y a un vrai manque de communication au niveau des porteurs de projet qui sont généralement en réaction face à la contestation, au lieu d’expliquer en amont afin d’apaiser les inquiétudes.

    Il est bon de rappeler qu’en France les règles qui entourent la production de biogaz sont très strictes et précises. De plus, la quantité de biogaz dans les installations est faible car, dès qu’il est produit, il est soit injecté dans le réseau de gaz traditionnel soit utilisé dans un moteur pour en faire de l’électricité. Donc il n’y a pas de risque d’explosion qui pourrait mettre en danger des maisons riveraines.

    Il y a également souvent un manque de courage politique au niveau local ; à la moindre contestation on voit des conseils municipaux changer de position sur un dossier.

    La communication au niveau gouvernemental des enjeux et des alternatives est cruciale pour aider les porteurs de projets et les pousser à investir.

    Athies Méthanisation

    http://www.athies-methanisation.fr

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