Climat : dengue et chikungunya s’installent durablement en Europe
La dengue est désormais sur le point de devenir endémique dans plusieurs régions d’Europe. Le chikungunya, son cousin viral, suit la même trajectoire.

Avec 304 cas recensés en 2024 dans l’Union européenne — un record historique —, la bascule vers une nouvelle réalité sanitaire s’accélère. Loin d’être anecdotiques, ces chiffres témoignent d’un basculement épidémiologique majeur qu’on ne peut plus ignorer.
La dengue progresse en Europe : une mutation silencieuse mais rapide
Les virus de la dengue et du chikungunya sont désormais endémiques dans plusieurs régions d’Europe. À l’origine de cette expansion : le moustique tigre, Aedes albopictus, un vecteur d’origine asiatique désormais parfaitement acclimaté à nos latitudes. Selon une étude publiée dans la revue The Lancet Planetary Health, ce dernier a envahi 358 régions dans 14 pays européens entre 1990 et 2024. L’étude du Lancet documente cette progression méthodique. En 1990, il fallait attendre plus de 25 ans entre l’arrivée du moustique et l’émergence du premier foyer local de dengue ou de chikungunya. Aujourd’hui, cette latence a fondu à moins de cinq ans. Et entre deux épidémies ? Moins d’un an dans certaines zones.
Selon les auteurs de l’étude, ce phénomène s’explique par une évolution climatique rapide et brutale. L’élévation moyenne des températures estivales a démultiplié la capacité vectorielle des moustiques, augmentant à la fois leur survie, leur rythme de reproduction et la vitesse de réplication des virus qu’ils transportent. Le lien est clair, statistiquement rigoureux : « une hausse de 1°C en été augmente de 55 % le risque d’apparition d’un foyer », peut-on lire dans cette étude dirigée par Zia Farooq. « Nos résultats montrent que l’Union européenne est en train de passer de flambées sporadiques à une situation d’endémicité pour les maladies à virus Aedes », peut-on lire dans cette étude. En clair : l’Europe n’est plus une terre de transmission ponctuelle. Elle devient un terrain permanent de circulation virale.
Climat, urbanisation, mobilités : un trio toxique pour l’Europe
Mais le thermomètre n’est pas seul en cause. L’étude européenne évoque un cocktail d’agents facilitateurs : densification urbaine, augmentation des voyages internationaux, mais aussi faiblesse de certaines politiques de surveillance entomologique. Les foyers les plus fréquents ont été observés en France, en Espagne, en Italie et en Croatie, souvent dans des zones à forte densité humaine, où les moustiques trouvent gîtes et proies à foison.
Les scientifiques ont modélisé différents scénarios climatiques pour les décennies à venir. Le plus pessimiste, baptisé SSP5-8.5, annonce un risque multiplié par cinq à l’horizon 2060, en comparaison à la période 1990-2024. Autrement dit : un été surchargé d’hospitalisations virales pourrait devenir la norme.
Le chikungunya, un passager clandestin du réchauffement
Le chikungunya, souvent moins médiatisé que la dengue, est pourtant tout aussi préoccupant. Sur l’île de La Réunion, une flambée meurtrière a récemment frappé la population. Comme son cousin, ce virus est transmis par Aedes albopictus et provoque fièvre, douleurs articulaires aiguës et complications parfois sévères. En Europe, les cas autochtones se multiplient. L’étude du Lancet révèle que ces épidémies, autrefois rarissimes, tendent désormais à revenir chaque année dans les mêmes zones.
L’étude pointe aussi un paradoxe : plus un pays dépense pour la santé, plus il détecte d’épidémies. La France et l’Allemagne, bien dotées en surveillance épidémiologique, identifient plus facilement les cas. À l’inverse, d’autres États, faute de moyens ou de vigilance, pourraient sous-estimer leur exposition réelle. « Un foyer de dengue détecté en Croatie n’a été révélé qu’après le retour d’un touriste infecté en Allemagne », rappellent les auteurs de l’étude. Ce biais statistique masque donc probablement une réalité encore plus sombre. Et pendant ce temps, les moustiques, eux, ne s’arrêtent pas aux frontières sanitaires.
Quels outils pour freiner la course à l’endémisation ?
Face à ce tournant, les experts appellent à une mobilisation immédiate. Parmi les solutions évoquées : renforcer les systèmes d’alerte précoce, organiser la surveillance entomologique, éduquer les citoyens, distribuer des répulsifs et repenser l’urbanisme pour limiter les zones de ponte.
Mais au-delà des mesures locales, la question est planétaire. Car chaque degré de plus ouvre la voie à une nouvelle carte des maladies. Et si l’Europe se croyait à l’abri des virus tropicaux, elle doit désormais apprendre à vivre avec eux.
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