Festival de Cannes : l’éclat des projecteurs face à l’ombre de l’urgence écologique

Derrière les paillettes du Festival de Cannes se cache une industrie énergivore. Transport, tournages, promotion… le cinéma doit se réinventer pour limiter son impact carbone. Un festival plus sobre est-il possible ?

Rédigé par , le 13 May 2025, à 10 h 10 min
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Paillettes, tapis rouge, flashs crépitants… Chaque mois de mai, Cannes devient la capitale mondiale du cinéma. Mais derrière les robes haute couture et les projections prestigieuses, une question devient de plus en plus pressante : le 7e art peut-il continuer à faire rêver sans faire flamber la planète ? Alors que les activistes écologistes multiplient les coups d’éclat pour alerter sur l’urgence climatique, le Festival de Cannes est devenu un symbole à la fois du rayonnement culturel et de l’impact environnemental d’un secteur encore trop peu engagé.

Un festival de cinéma à l’heure des paradoxes

On se souvient encore de l’activiste de Dernière Rénovation interrompant la cérémonie des Césars en 2023 avec son t-shirt affichant : « Il nous reste 761 jours ». Un message choc, reçu en silence par une grande partie du monde du cinéma. Aujourd’hui, le débat se déplace sous les palmiers de la Croisette. Car si le Festival de Cannes fait briller les oeuvres et les talents, il met aussi en lumière les contradictions d’une industrie dont le mode de fonctionnement repose sur un modèle énergivore.

Des centaines de vols internationaux, des limousines climatisées alignées sur la Croisette, des buffets pantagruéliques et des soirées grandioses : Cannes, comme d’autres grands événements culturels, est un condensé d’émissions de gaz à effet de serre. Selon Ecoprod, l’ensemble de la filière audiovisuelle française émet près de 1,7 million de tonnes de CO₂ équivalent par an, soit autant que 200.000 Français.

Le tournage, la face cachée de la pollution

Loin de la lumière du tapis rouge, les tournages eux-mêmes pèsent lourd dans la balance carbone. En moyenne, le tournage d’un épisode de série à Paris produit 35 tonnes de CO₂. Pour un long-métrage, le transport (équipes, acteurs, matériel), les décors jetables et l’éclairage constituent les postes les plus émetteurs. À Cannes, ce sont des dizaines de films qui ont nécessité ce type de logistique avant même d’être projetés.

Et ce n’est pas tout. Une fois le film réalisé, place à la promotion. Les équipes parcourent le monde, multiplient les plateaux télé, les interviews, les festivals… Autant de déplacements qui, cumulés, creusent l’empreinte écologique des oeuvres. Le Festival de Cannes concentre à lui seul une grande partie de cette frénésie promotionnelle.

Des alternatives encore timides

Pourtant, des solutions existent. Ecoprod recommande notamment de limiter les déplacements, de favoriser le train plutôt que l’avion, d’opter pour des repas végétariens sur les plateaux, ou encore de réutiliser les décors. Certaines productions s’y essayent timidement, et un changement réglementaire pourrait accélérer la donne : à partir de mars 2025, le CNC exigera un bilan carbone des oeuvres pour accorder ses aides financières. Un tournant potentiel pour verdir progressivement les pratiques.

Mais qu’en est-il de Cannes ? Le festival a commencé à intégrer une charte écoresponsable, mis en place un tri des déchets, et réduit la quantité de voitures individuelles utilisées. Des actions louables, mais encore modestes au regard de l’ampleur de l’événement.

Le cinéma, un levier de transformation… ou de distraction ?

Le cinéma n’est pas qu’un produit : c’est aussi un vecteur d’imaginaires, capable d’influencer nos comportements. Pourtant, trop peu de films s’emparent de la thématique écologique. Des documentaires engagés comme ceux de Cyril Dion existent, mais restent minoritaires dans la programmation des grands festivals.

À Cannes, les palmes se distribuent rarement à des oeuvres évoquant le climat ou la biodiversité. Cette frilosité reflète peut-être la peur de casser la magie du cinéma, ou de politiser un art perçu comme un espace de rêve. Mais peut-on encore se permettre de rêver sans se réveiller ?

Uma Thurman participe au Gala d'ouverture

Uma Thurman participe au Gala d’ouverture du Festival de Cannes

Un effort collectif : réalisateurs, acteurs… et spectateurs

Les professionnels du cinéma ont un rôle crucial à jouer : réduire les tournages inutiles, s’engager dans des productions plus sobres, questionner les messages véhiculés à l’écran. Le star system, en particulier, pourrait devenir une vitrine de la sobriété heureuse, plutôt qu’un étalage de luxe à répétition.

Et nous, en tant que spectateurs ? Le visionnage à domicile, notamment via le streaming, est loin d’être neutre : la vidéo en ligne produit environ 300 millions de tonnes de CO₂ par an dans le monde. Aller au cinéma à pied ou en transports en commun reste souvent plus sobre. Et si on choisissait aussi de regarder moins, mais mieux ? Moins de binge-watching, plus de réflexion.

Vers un Festival de Cannes vraiment durable ?

Un Festival de Cannes plus vert, c’est possible. Cela impliquerait de repenser la logistique, réduire le nombre de projections, diminuer la consommation énergétique, et surtout, offrir une place plus large aux oeuvres engagées. Il ne s’agit pas de supprimer les tapis rouges, mais de faire en sorte que leur éclat ne masque plus les enjeux d’un monde en crise.

Alors que la planète chauffe, il est temps que les salles obscures laissent passer un peu de lumière. Et que Cannes, au lieu de n’être que la vitrine du cinéma, devienne aussi celle de son réveil écologique.

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