Flatulences bovines : enfin une solution naturelle, efficace et rentable
Un champ de bataille silencieux s’étend sous les vagues. Invisible, discret, mais potentiellement décisif dans la guerre contre le réchauffement climatique. Et si l’issue se jouait dans une algue rouge que les bovins ne verront jamais venir ?

Dans la baie de Triabunna, en Tasmanie, un événement discret mais révolutionnaire a secoué le monde de l’agriculture : la confirmation scientifique que l’algue asparagopsis peut réduire jusqu’à 95 % des émissions de méthane chez les ruminants. Alors que ce gaz à effet de serre est 80 fois plus puissant que le dioxyde de carbone sur vingt ans, cette avancée marque un tournant. Ce qui s’annonçait comme une curiosité de laboratoire est désormais une promesse industrielle.
Du méthane dans l’air – et des algues dans l’assiette des vaches
Le méthane. Ce mot évoque des marécages, des tuyaux qui fuient ou… des pets de vache. Et pour cause : selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’élevage représente plus de 32 % des émissions anthropiques mondiales de méthane. Les ruminants, avec leur système digestif archaïque, évacuent ce gaz par éructation et flatulence, dans un ballet invisible mais dévastateur.
Et c’est là qu’intervient l’asparagopsis, une algue rouge originaire des eaux australiennes et néo-zélandaises. Sa particularité ? Elle est saturée en bromoforme, un composé organique capable d’interrompre la production de méthane dans le dernier estomac des bovins. L’asparagopsis est en effet capable de supprimer presque complètement le méthane, soit 95 %. Encore faut-il la cultiver. Car les bovins, eux, ne plongent pas pour aller chercher leur ration d’algues marines.
Méthane, algue et industrie : l’ascension fulgurante de CH4 Global
C’est dans l’État d’Australie-Méridionale, à Louth Bay, qu’une entreprise américaine, CH4 Global, a pris une avance spectaculaire. Le 8 mai 2025, elle a ouvert le tout premier site industriel terrestre de culture d’asparagopsis, avec déjà dix bassins de 200.000 litres et une capacité annuelle de 80 tonnes d’algues.
L’ambition ? 100 bassins en 2026, 500 à terme. De quoi nourrir jusqu’à 45.000 vaches par jour. Et pas besoin de subventions publiques : « Nous avons réussi à rendre les compléments alimentaires réduisant les émissions de méthane commercialement viables sans nécessiter de subventions gouvernementales », a fait savoir Steve Meller, le PDG de CH4 Global. À croire que même le secteur agroalimentaire commence à croire aux vertus de la sobriété climatique… surtout quand elle est rentable. L’entreprise a déjà sécurisé des partenariats avec Mitsubishi, Lotte et des transformateurs de viande comme CirPro. Leur produit phare, Methane Tamer, promet une efficacité record à des coûts dix fois inférieurs aux méthodes traditionnelles.
Algues en mer : Sea Forest, l’alternative bleue venue de Tasmanie
Mais CH4 Global n’a pas le monopole de l’innovation. Sea Forest, société implantée à Triabunna, en Tasmanie, déploie depuis 2019 une double stratégie : culture marine et terrestre. Elle exploite 1.800 hectares dans la mer de Tasmanie tout en testant des bassins d’eau de mer filtrée sur terre. Objectif : reproductibilité et contrôle.
La firme fournit déjà des blocs à lécher, des huiles et des granulés enrichis en asparagopsis à des entreprises comme Grill’d (chaîne de burgers australienne) ou Ashgrove (producteur laitier). Elle vise aussi le marché européen : « Nous sommes en train d’enregistrer nos produits à base d’algues auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) », a fait savoir son PDG, Sam Elsom.
Mais Sea Forest ne se limite pas à la production. En partenariat avec l’Université de Tasmanie, ses chercheurs ont identifié deux lignées génétiques distinctes d’Asparagopsis armata, ce qui permettra une gestion régionale fine des cultures. Mieux : leur étude a révélé que la région sud-est de la Tasmanie offre des conditions de croissance continue, ce qui casse le dogme d’une algue uniquement saisonnière.
Entre espoir scientifique et contraintes réglementaires
L’efficacité est là. Les essais cliniques sont concluants. L’accumulation de bromoforme dans la viande ou le lait ? Inexistante, selon les études citées. La santé animale ? Préservée, d’après Fran Cowley. Pourtant, les obstacles ne manquent pas. La culture d’algues à grande échelle nécessite des autorisations environnementales complexes. L’évaluation des risques sur le long terme reste limitée. Et surtout, le coût pour les éleveurs reste dissuasif sans incitation étatique.
Les vaches vont-elles éructer vert ? Peut-être. L’asparagopsis ne sauvera pas le climat à elle seule, mais elle propose une solution tangible, mesurable et reproductible pour réduire massivement le méthane agricole. Encore faut-il qu’on lui laisse sa chance – dans les bassins, dans les labos et dans les politiques publiques.
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