Le savon de Marseille, il y en a des vrais… et surtout des faux. Ne bénéficiant d’aucune protection sur son appellation, l’authentique savon de Marseille subit de plein fouet la concurrence, déloyale, des imitations venues de l’étranger qui usurpent son nom. Aujourd’hui, il ne reste plus que quatre savonneries en activité : la savonnerie artisanale Le Sérail, la savonnerie Le Fer à Cheval, la Savonnerie du midi, et la savonnerie Marius Fabre. Toutes perpétuent la fabrication traditionnelle du véritable savon de Marseille, en chaudron.
Le savon de Marseille à travers l’Histoire
L’histoire du savon de Marseille remonte déjà à nos ancêtres les Gaulois. Ces derniers l’utilisaient pour laver leur linge et comme base pour colorer leurs cheveux en roux, en y ajoutant des cendres et du suif. Ils lui reconnaissaient également des vertus médicinales.
C’est au XVIe siècle, au lendemain des Croisades, que la fabrication du savon de Marseille dépasse le stade de la fabrication artisanale. Un siècle plus tard, la production marseillaise a du mal à satisfaire la demande croissante de la ville et de sa région. Les savonniers doivent alors augmenter leur production pour satisfaire la demande du nord de la France, mais aussi des Allemands, des Hollandais et des Anglais.
Au milieu du XVIIe, on dénombre sept fabriques de savons de Marseille dans la ville pour une production d’environ 20.000 tonnes par an.
Sous Colbert, elle atteint de tels sommets et les savons sont de telle qualité que « savon de Marseille » devient un nom commun. Le savon est alors vert et se vend en barre de 5kg ou en pains de 20kg.

En 1786, 48 savonneries produisent à Marseille 76.000 tonnes de savons. Elles emploient 600 ouvriers et 1.500 forçats prêtés par l’Arsenal des Galères.
L’industrie du savon de Marseille est florissante jusqu’à la Première Guerre mondiale. La production passe de 180.000 tonnes en 1913 à un peu plus de 50.000 en 1918. L’entre-deux-guerres fait bénéficier la savonnerie des progrès de la mécanisation et la production rattrape presque ses plus belles années à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Après 1945, Marseille assure toujours la production de la moitié des savons, mais la production va en déclinant jusqu’à nos jours. La Savonnerie Marius Fabre fabrique depuis 1900, et quatre générations familiales, le véritable savon de Marseille selon le procédé marseillais, en chaudron.
Aujourd’hui, le véritable savon de Marseille est en réel danger. La Compagnie des détergents et du savon de Marseille qui appartenait à la savonnerie du Fer à Cheval a été rachetée en novembre 2013 par un fonds chinois après avoir été mise en redressement judiciaire.
Depuis cette date, la société a été redressée et sa pérennité semble assurée. L’activité commerciale est en fort développement et une dizaine d’emplois ont été créés. L’objectif de la nouvelle société créée (la Nouvelle Compagnie des Détergents et du Savon de Marseille – NCDSM) est principalement orienté vers de nouveaux marchés en mettant un accent particulier sur la qualité des produits fabriqués. Par ailleurs est exploité le fort potentiel patrimonial des installations en développant les visites de l’usine de savons.

Vers une IGP Savon de Marseille authentique ?
La savonnerie du Fer à cheval, la savonnerie Le Sérail et la savonnerie du Midi à Marseille, et la savonnerie Marius Fabre à Salon-de-Provence se réunissent pour créer l’Union des Professionnels du Savon de Marseille.
L’association a pour mission de défendre, promouvoir et faire connaître au grand public ce qu’est l’authentique savon de Marseille. Les savonneries aimeraient obtenir enfin, une protection pour le véritable savon de Marseille, via l’obtention d’une Indication Géographique Protégée (IGP).
Le véritable savon de Marseille : à quoi le reconnaît-on ?
L’authentique savon de Marseille, le fameux cube, est composé de 72 % d’huile végétale (huile d’olive, de palme, de coprah ou de coco) mélangée à de la soude. Et rien d’autre. Sa fabrication suit un procédé discontinu, au cours duquel on cuit la pâte dans des chaudrons.
Les étapes de fabrication du savon de Marseille
Le cycle de fabrication du savon de Marseille dure environ 80 heures. La pâte travaille de 8 à 10 jours, en ébullition le jour et au repos la nuit. Le cycle de fabrication se décompose en 5 étapes :
1. L’empâtage
Les huiles végétales et la soude sont portées à ébullition sous agitation dans le chaudron. Dès cette étape commence la saponification et se forme alors progressivement une pâte de savon.
2. La cuisson
On ajoute de la soude en excès afin de saponifier les matières grasses qui n’auraient pas réagi au stade précédent. Ce mélange bout à 120°C pendant plusieurs heures.

3. Le relargage
La pâte est alors « lavée » à l’eau salée à deux reprises, une demi-journée chacune. Elle est ensuite débarrassée de l’excès d’eau, des impuretés contenues dans les matières grasses et de la glycérine. Plusieurs lavages à l’eau douce suivront.
4. L’épinage
Le surplus de liquide est retiré par décantation.
5. La liquidation
Elle consiste à faire bouillir une dernière fois le savon à gros bouillon, en l’arrosant à l’eau pure. C’est là que tout le savoir faire du maître savonnier entre en jeu. Il vérifie, lors de cette étape, la consistance et l’homogénéité du savon. Le tout repose alors entre 18 heures et 48 heures pour donner un savon qualifié d’« extra-pur ».
La dernière étape est celle du moulage. Elle dure deux jours. Le savon passe dans des « boudineuses » en série dans lesquelles il est compressé pour devenir une pâte homogène. Il sort des boudineuses au travers d’une filière qui permet l’ébauche de sa forme : barres ou « bondons ». Le savon solidifié est découpé en cubes puis marqué sur ses six faces.

Les savons de Marseille fabriqués… ailleurs !
Le savon de Marseille ne se fabrique pas que dans la cité phocéenne et cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis un siècle, le fameux savon se fabrique ailleurs en France, et à l’étranger.
Jusqu’en octobre 2008, une usine du Nord située à Yainville fabriquait jusqu’à 30.000 tonnes de savon de Marseille par an, faisant d’elle la plus grosse usine de fabrication du territoire. Le site est aujourd’hui cependant fermé. Tout le matériel a été revendu aux enchères… pour aller fabriquer d’autres soi-disant « savons de Marseille » en Pologne et au Maroc.
La Tunisie fabrique elle aussi quantité de faux savons de Marseille. La plus grosse usine tunisienne produit 50.000 savons par jour et sous-traite pour de nombreux distributeurs français. Quantité de savons que l’on trouve en supermarché ont été fabriqués dans les usines tunisiennes et estampillés en France « savon de Marseille ». Cela n’a rien d’illégal puisque l’appellation n’est pas protégée… Le nom est tombé dans le domaine public.
Aujourd’hui, la grande majorité des savons de Marseille vendus dans le commerce, de 90 à 95 %, ne sont pas fabriqués à Marseille et ne respectent en aucun cas la recette traditionnelle.
Reconnaître un véritable savon de Marseille
Le savon de Marseille ne bénéficie d’aucune appellation, AOC ou IGP, si bien que n’importe quel fabricant peut en toute légalité estampiller son savon « savon de Marseille » alors qu’il est fabriqué dans d’autres régions, voire à l’étranger.
En effet, des producteurs de faux savons de Marseille inondent le marché. Les plus gros se situent en Tunisie, en Turquie et en Chine.
Comment donc reconnaître un véritable savon de Marseille ?
- Tout d’abord, son aspect : traditionnellement, le savon de Marseille se présente sous la forme d’un cube de 600 grammes.
- Ensuite, sa composition vous indiquera s’il s’agit ou non d’un vrai savon de Marseille. Celui-ci doit en effet contenir 72 % d’huile végétale. Ce peut être de l’huile d’olive, dans l’idéal, mais aussi, dans certains cas, de l’huile de palme, de coco ou de coprah. Certains savons sont composés d’un mélange d’huiles végétales.
- Le plus important est que la proportion des 72 % d’huile soit respectée et que soit mentionné sur le savon « pur végétal ». L’inscription 72 % doit d’ailleurs apparaître de manière très visible sur les six faces du véritable savon de Marseille.
- Les faces doivent aussi être estampillées du nom de la savonnerie.
- En aucun cas le savon de Marseille ne contient de graisses animales. Mais malheureusement aujourd’hui, 80 % des savons soi-disant de Marseille contiennent des graisses animales. Ils sont fabriqués à base de suif, c’est-à-dire des restes d’équarrissage issus de boeuf, de mouton ou de porc.
- Bien entendu, au-delà de la tromperie, on comprend bien qu’un savon à base de graisses animales ne présente pas les mêmes qualités dermatologiques qu’un savon fabriqué de manière traditionnelle, avec de l’huile végétale. Cela pose problème aussi pour ceux qui s’interdisent, par conviction éthique ou religieuse, toute consommation de viande et de porc. Dans la composition, si vous lisez sodium tallowate, passez votre chemin : il s’agit là de graisse animale !

Un vrai savon de Marseille ne contient pas non plus de conservateurs, ni de colorants.
- C’est parce qu’il ne contient ni conservateurs ni colorants que le savon doit changer de couleur au fil du temps. Un savon de Marseille peut être parfumé, avec des huiles essentielles par exemple, à condition que le parfum soit incorporé après broyage et moulage à froid.
- La couleur du savon de Marseille varie du vert au brun, ou plus clair, du jaune au blanc, en fonction de l’huile utilisée. Le savon vert ou brun est fait à base d’huile d’olive ; le blanc ou jaune clair à base d’huile de coco ou de palme.
- Enfin, 100 % biodégradable, il ne fond pas à l’usage comme les autres savons.
Pour être sûr de votre achat, vérifiez bien l’étiquette !
Pour contrer la concurrence venue de l’étranger, l’Association française de la détergence, de l’entretien et des produits d’hygiène industrielle (AFISE), a élaboré une charte qualité qui rappelle la réglementation à respecter. Mais à l’heure actuelle, les contrôles ne sont pas très fréquents.
Les grandes vertus du savon de Marseille
Hygiène, beauté ou entretien de la maison ou du linge, le savon de Marseille est très efficace, doux et surtout naturel. Ses usages sont multiples. Parmi eux :
Nettoyant ménager, pour laver ses vêtements, sans risque d’allergie. Vous pouvez fabriquer vous-même votre lessive à base de savon de Marseille.
Le savon de Marseille peut aussi nettoyer les cuirs ainsi que toutes les surfaces de la maison.
Pour la toilette bien sûr : doux pour la peau grâce à son pH de 9,5, il n’irrite pas et est toléré par tous. De plus, le savon de Marseille est biodégradable donc tout aussi doux pour l’environnement.
Pour la santé : hypoallergénique et bactéricide, le savon de Marseille désinfecte les plaies. Il suffit pour cela de nettoyer la plaie avec le savon de Marseille puis d’appliquer un antiseptique pour la peau (sauf pour les plaies superficielles) et enfin d’y mettre un pansement.
Exemple de recette de lessive au savon de Marseille à faire soi-même
Il vous faudra :
- 80 grammes de savon de Marseille
- 1,5 litre d’eau
- 1 cuillère à soupe de vinaigre blanc
- 1 cuillère à soupe de bicarbonate de soude
Secouez vivement le tout. Vos couleurs seront préservées grâce au bicarbonate de soude, votre machine sera détartrée grâce au vinaigre blanc et votre linge sera propre grâce au savon de Marseille !
Illustration bannière : Ce savon qui vous tente au marché artisanal est-il un véritable savon de Marseille ? © Kemal Taner Shutterstock