Pesticides : comment leur ruissellement altère la vie dans les océans ?
Les pesticides s’infiltrent discrètement des terres agricoles jusqu’aux océans, où ils bouleversent la vie marine.

Des études récentes, menées par des équipes internationales et publiées dans des revues de référence, révèlent l’ampleur de cette contamination invisible qui fragilise déjà des écosystèmes entiers.
Des flux massifs de pesticides rejoignent les océans
Depuis 2015, les chercheurs mesurent avec précision comment les pesticides circulent depuis les champs vers les océans. En juillet 2023, une étude dirigée par Federico Maggi, de l’Université de Sydney, parue dans la revue Nature(1), a chiffré le volume mondial épandu à 0,94 Tg par an, dont 7,2 % finit par traverser les sols jusqu’aux nappes et aux fleuves. Cette découverte illustre une menace persistante : malgré la dégradation biologique d’une majorité des produits, une fraction non négligeable persiste et ruisselle, altérant la santé des écosystèmes marins.
On y lit que 82 % des pesticides appliqués sont effectivement dégradés par les sols, mais que 10 % restent stockés dans les sédiments, et que 7,2 % gagnent les rivières avant de rejoindre les océans. Selon les auteurs, cela représente plusieurs dizaines de milliers de tonnes chaque année. Ces flux invisibles mais constants impactent durablement la qualité des eaux littorales.
Pesticides : des impacts directs sur la productivité marine
En 2024, une étude dirigée par Liqiang Yang, de l’Université chinoise des océans, et publiée dans Nature Communications(2), a évalué les effets des herbicides, notamment l’atrazine, sur le phytoplancton. Sur 661 stations étudiées, les chercheurs ont montré que la productivité primaire chutait de plus de 5 % dans 25 % des sites et de plus de 10 % dans 10 % des zones testées. Ces résultats démontrent que même à faibles concentrations, les pesticides modifient la base de la chaîne alimentaire marine.
Les données expérimentales précisent les seuils de toxicité : des concentrations de 5,1 nmol/L d’atrazine réduisent déjà la photosynthèse de 5 %, et au-delà de 35 nmol/L, l’inhibition atteint 25 %. Selon Liqiang Yang et ses collègues, ces altérations entraînent une baisse mesurable du carbone fixé par le phytoplancton, ce qui affaiblit la productivité globale des océans. Cette déstabilisation impacte ensuite poissons, crustacés et mammifères marins.
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Une biodiversité marine fragilisée par des effets multiples
L’impact ne se limite pas au phytoplancton. D’après une autre étude, réalisée par Lisa Nowell, de l’US Geological Survey, et publiée dans Science of the Total Environment(3) en janvier 2024, les pesticides impactent directement les invertébrés aquatiques essentiels aux rivières et aux lacs américains. « Ces contaminants réduisent la diversité et la résilience des communautés benthiques », écrivent ses auteurs. En amont des estuaires, ces perturbations altèrent la disponibilité alimentaire et compromettent la santé écologique des cours d’eau.
Plus récemment, en mars 2025, Allie Tissot, doctorante à Portland State University, a réalisé une étude(4) sur les étoiles de mer du Puget Sound. Exposées à l’imidaclopride et aux microplastiques, ces étoiles juvéniles présentent des malformations intestinales et une mortalité accrue. D’après cette étude, cette combinaison empêche la régénération naturelle des populations, déjà en déclin massif depuis les années 2010. Les pesticides apparaissent donc comme un facteur aggravant dans l’érosion d’espèces marines emblématiques.
Les océans, réceptacles de la pollution mondiale
Enfin, une étude dirigée par Philip J. Landrigan, du Boston College, et publée dans Annals of Global Health(5), rappelle que plus de 80 % des polluants marins, dont les pesticides, proviennent de sources terrestres : ruissellement agricole, dépôts atmosphériques et rejets directs. Cette contamination diffuse fragilise non seulement la biodiversité, mais expose aussi la santé humaine via la consommation de poissons contaminés. Les chercheurs insistent sur la complexité du mélange de substances retrouvées en mer, qui interagissent et accroissent les risques écotoxicologiques.
Ainsi, les océans deviennent le point de convergence d’une pollution largement invisible mais persistante. Selon le rapport, ce phénomène s’intensifie avec le changement climatique, car des pluies plus intenses accentuent le ruissellement agricole. Le couplage entre pesticides et autres polluants – plastiques, métaux lourds – crée un cocktail qui redessine les équilibres marins et menace les services écosystémiques dont dépendent les sociétés humaines.
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