Tous les poissons ont-ils le sang froid, comme on l’a appris à l’école ? Une récente scientifique révèle que non : l’opah, un poisson carnivore des eaux profondes qui vit notamment au large des côtes américaines et australiennes, vient de faire converger vers lui les regards de la communauté scientifique, il s’agirait du premier poisson connu à sang chaud.
Opah : il vit en profondeur, et a le sang chaud !
Vous vous souvenez peut-être de notre espèce invasive du lac Léman. Si cette dernière était un véritable poisson d’avril, l’opah a bien le sang chaud, et ce n’est pas un canular. A l’inverse des mammifères, les poissons, tout comme les reptiles et les animaux amphibies, ont le sang froid, c’est bien connu. Sauf, donc, l’opah, comme le révèle un article du très prestigieux journal Science.(2)
Un milieu de vie particulièrement inhospitalier
L’opah, du genre des Lampris – donc aussi nommé Lampris Royal ou Lampris Lune – vit entre 50 et 100 mètres de profondeurs, dans la zone dite « mésopélagique ». Celle-ci, située en 200 mètres et 1 kilomètre de profondeur, se caractérise par son froid et par son obscurité : moins de 1 % de la lumière qui arrive à la surface de l’océan parvient jusqu’ici. Les scientifiques pensent toutefois que l’opah est capable de descendre encore plus bas, pour faire des incursions dans le haut de la « zone bathypélagique », située entre 1 et 4 kilomètres de profondeur.
Les différentes zones marines (par Wikimédia)
Aux yeux des chercheurs, l’opah sortait déjà du lot par sa vivacité. Contrairement à ses collègues prédateurs des profondeurs, le gros poisson se meut rapidement, là où ses congénères préfèrent attendre patiemment que leur proie passe près d’eux pour l’attaquer. L’opah, en sus de ne pas suivre cette stratégie, a de grands yeux et un coeur développé, ce qui fait que les scientifiques le décrivent comme plus proche des prédateurs véloces que des prédateurs des profondeurs.
Un système de réchauffement interne
C’est en examinant les branchies de l’opah que les chercheurs ont eu la puce à l’oreille. Tous les poissons ont deux types de vaisseaux sanguins dans leur branchies. Le premier type de vaisseaux amène du sang depuis le corps de l’animal pour qu’il puisse collecter de l’oxygène dans les branchies. Le deuxième type de vaisseaux repart de branchies pour amener le sang chargé en oxygène dans le corps du poisson. Un peu comme dans nos poumons, somme toute.
Le voici : un opah
Le chercheurs ont remarqué que les vaisseaux sanguins entrant dans les branchies étaient particulièrement entremêlés aux vaisseaux sanguins qui sortaient des branchies. Cet imbrication des vaisseaux sanguins, qui sont collés au plus près les uns des autres, permet au sang venant du corps de communiquer sa chaleur au sang venant des branchies. Et le sang venant du corps est chaud, car réchauffé par le muscle des nageoires de l’opah. Contrairement à d’autres poissons qui font onduler leur corps pour se mouvoir, l’opah se sert en effet de ses nageoires pour avancer – ce qui génère de la chaleur musculaire.
Méconnaissance de la faune des profondeurs
Avoir le sang chaud dans les profondeurs : un avantage pour chasser
L’usage de sang réchauffé n’est pas l’apanage du seul opah chez les poissons. D’autres poissons, comme le thon, ont eux aussi la capacité de réchauffer certaines parties de leur corps. Mais cette capacité a jusqu’ici toujours été observée comme limitée à certains organes (les yeux ou le foie). L’opah, contrairement à ces autres poissons, est capable de maintenir l’ensemble de son corps à 5°C au dessus de la température environnante.
L’ensemble de son corps, vraiment ? Ce dernier point fait déjà l’objet de débats au sein de la communauté scientifique, depuis que certains chercheurs de l’université d’état de Californie, à Fullerton, ont avancé que l’opah concentre en vérité la chaleur au centre de son corps, et que l’extérieur de son corps est aussi froid que celui des autres poissons. Un débat technique, mais qui souligne le caractère limité de notre connaissance de la faune des profondeur.
Le maintien au chaud du centre du corps constitue cependant selon les scientifiques un avantage certain. Contrairement au thon, l’opah n’a en effet pas à remonter régulièrement à la surface pour réchauffer son corps et en particulier son coeur, qui a besoin d’un minimum de chaleur pour fonctionner, et pour apporter aux muscles par la circulation du sang l’oxygène et les nutriments dont ils ont besoin. Le maintien du corps à une température supérieure à celle de l’eau représenterait également un avantage certain en termes de vivacité et de vue, et donc un avantage certain pour chasser.
Un cas unique… en l’état actuel de nos connaissances
© CC, NOAA Fisheries West Coast
L’étude des chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), qui a mis en lumière cette étonnante caractéristique de l’opah, a porté sur une espèce de la côte ouest nord-américaine. Les scientifiques aimeraient désormais étudier des opahs pêchés dans d’autres régions du monde pour voir s’ils présentent les mêmes branchies.
Heidi Dewar, l’un des auteurs de l’étude, pense même qu’il pourrait être pertinent de séparer les opahs en différentes espèces en fonction des résultats de leurs futures recherches. Ces recherches pourraient contribuer à étayer l’histoire de la vie et à expliquer davantage l’adaptation des espèces. Alors que les eaux profondes sont toujours plus pillées, elles ont encore beaucoup à nous apprendre sur la vie.
Références :
- Nicholas C. Wegner, Owyn E. Snodgrass, Heidi Dewar, John R. Hyde. Whole-body endothermy in a mesopelagic fish, the opah, Lampris guttatus. Science 15 May 2015 : Vol. 348 no. 6236 pp. 786-789 DOI : 10.1126 (Cliquez sur cette source pour remonter)
- Nicholas C. Wegner, Owyn E. Snodgrass, Heidi Dewar, John R. Hyde. Whole-body endothermy in a mesopelagic fish, the opah, Lampris guttatus. Science 15 mai 2015 : Vol. 348 no. 6236 pp. 786-789 DOI : 10.1126 (Cliquez sur cette source pour remonter)
- Nicholas C. Wegner, Owyn E. Snodgrass, Heidi Dewar, John R. Hyde. Whole-body endothermy in a mesopelagic fish, the opah, Lampris guttatus. Science 15 mai 2015 : Vol. 348 no. 6236 pp. 786-789 DOI : 10.1126 (Cliquez sur cette source pour remonter)