L’Agence Française de Biodiversité : nouvelle usine à gaz ?

Depuis le 26 décembre 2016, la France est dotée d’une agence nationale pour la biodiversité, censée être une mesure phare dans la lutte pour la préservation de la nature. De nombreuses associations et services de l’État s’alarment pourtant de la façon dont l’Agence Française de Biodiversité a été organisée, et posent des questions sur son efficacité réelle.

Rédigé par Paul Boucher, le 17 Jan 2017, à 7 h 00 min
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Pour en savoir plus, à quelques jours de la première réunion du conseil d’administration de l’agence, consoGlobe.com est allé interroger Yves Verilhac, Directeur général de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO).

Yves Verilhac livre ses impressions sur la nouvelle Agence Française de Biodiversité

Créée officiellement le 1er janvier 2017, l’Agence Française de Biodiversité (AFB) regroupe des organismes publics qui s’occupent de la nature, et est chargée d’aider plus efficacement les projets en faveur de la biodiversité terrestre et marine et de l’eau.

consoGlobe.com – Yves Verilhac, en tant que directeur général de la LPO, quel est votre avis sur la nouvelle agence nationale pour la Biodiversité ?

Yves Verilhac : D’abord, on ne peut que saluer ce projet, initié en 2007-2008 dans le cadre du « Grenelle de l’environnement », sur proposition de nos associations. Le principe est de créer une grande agence d’État chargée de la protection de la biodiversité, à l’instar de l’ADEME pour les déchets et l’énergie, ou des Agences de l’eau. La LPO, qui a oeuvré pour cette création, ne peut que se réjouir. Cependant, le compte n’y est pas encore aujourd’hui, et ce pour plusieurs raisons.

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D’abord, on constate qu’il a fallu 10 ans pour aboutir, ce qui montre le peu d’enthousiasme de la part de l’État et des parlementaires. Ensuite, les principaux établissements publics chargés de la protection de la nature, comme l’Office national de la Chasse et la Faune Sauvage (ONCFS), ou l’Office national des Forêts (ONF) n’ont pas été intégrés à cette nouvelle agence française pour la biodiversité. Alors que ce sont eux qui maîtrisent et gèrent des centaines de milliers d’espaces naturels, assurent la police de la nature, développent des programmes de recherches et de connaissance etc. Il y a là incohérence.

consoGlobe.com – Qu’est-ce qui explique cela ?

Yves Verilhac : Deux facteurs principalement. D’abord la pression des grands corps de l’État, du Ministère de l’Agriculture, etc. Ensuite les lobbies cynégétiques, très puissants en France, ont obtenu directement de la part du Président de la République que l’ONCFS ne soit pas intégré, empêchant le débat parlementaire d’avoir lieu.

En fait, on a réuni les seuls organismes en charge des espaces naturels protégés – l’Agence des aires marines protégées, Parcs nationaux de France, l’Atelier technique des espaces naturels – à l’exclusion des organismes compétents sur l’ensemble du territoire. Parce que la finalité de l’ONCFS ou de l’ONF n’est pas dédiée à 100 % à la biodiversité  : d’une conception trop étriquée nait un établissement restreint. Je ne connais aucune autre Agence nationale de la nature d’un pays européen qui n’ait pas la forêt publique ou la police de la nature en compétence.

Par ailleurs, on n’a pas doté l’Agence Française de Biodiversité de moyens humains et financiers suffisants : c’est Bercy qui a gagné. Il n’y a pas comme pour toute Agence digne de ce nom de grande taxe affectée à l’Établissement Public. Or, sans une source de financement, elle n’aura pas les moyens d’intervention nécessaires. On n’a même pas gardé les moyens des structures intégrées comme l’Onema qui vient de voir priver de 70 millions d’euros de fonds de roulement !

Enfin le législateur n’oblige pas les Régions à décliner l’AFB en Agences régionales de la biodiversité. Elles peuvent faire ce qu’elles veulent : certaines vont en créer, d’autres pas, certaines auront un statut associatif, d’autres un statut différent. Il n’y a pas de définition partagée du rôle, des missions des Agences régionales. Donc, on n’aura pas une couverture homogène et complète, ce qui va rendre le déploiement des politiques publiques et le reporting très aléatoires.

agence française de biodiversité, renard

consoGlobe.com : Le 19 janvier 2017 aura lieu la première réunion du Conseil d’Administration de l’Agence Française de Biodiversité. Qu’en attendez-vous ?

Yves Verilhac : Nous attendons de voir. D’abord, avec plus de 40 membres, le CA nous semble trop important. Un CA est fait pour gouverner, pour gérer, ce n’est pas une instance de concertation sociétale. Pour ça, il y aura le Comité national de la biodiversité. On confond de plus en plus en France les lieux, temps, compétences et donc légitimité pour l’expertise, pour la concertation, et pour la décision.

Et puis, il est curieux de mettre des représentants dont la finalité est tout sauf la protection de la biodiversité dans un organisme qui lui est dédié. Je pense à l’agriculture intensive avec la FNSEA par exemple. On choisit le représentant du syndicat agricole ouvertement « biodiversceptique » plutôt que d’autres qui ont opté pour une agriculture raisonnée…

Il reste à présent au gouvernement, aux communautés locales et aux citoyens de se mobiliser pour que cette nouvelle agence évolue dans le bon sens et que la loi de « reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » se produise réellement.

Illustration bannière © Curioso – Shutterstock 

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Professeur d’université à la retraite, Paul aime observer le monde moderne et ses évolutions. Il s’intéresse tout particulièrement à l’économie...

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