En ce début d’année, difficile d’éviter la publicité autour d’une livraison d’essais pessimistes : des livres traitant de grandes questions alimentaires de notre époque. Le Livre noir de l’agriculture d’Isabelle Saporta dresse un tableau angoissant de l’agriculture française. Bidoche de Franck Nicolino se penche sur « l’industrie de la viande qui menace le monde » et «Faut-il manger les animaux ?» de Jonathan Foer vous donne envie de faire un don à une secte végétarienne.
Une vision noire mais hélas réaliste des absurdités agro-industrielles de notre temps. Saignant !
Le livre noir de l’agriculture française
Médiatisée pendant le Salon de l’agriculture 2011, la photographie de l’agriculture française réalisée par I. Saporta en a mis plus d’un en colère.
Laboratoires pharmaceutiques, exploitants et coopératives géantes, industriels, … ils se tous démenés depuis l’après-guerre pour nourrir la France et en faire un géant agricole. Pourtant, aujourd’hui la course au volume et au productivisme ressemble bien à un système absurde. Prenons 6 exemples des dérives dénoncées par I. Saporta dans son essai de 246 pages.
6 points noirs de l’agriculture française
L’horreur de l’élevage des porcs
Visiter des élevages des cochons est aujourd’hui l’une des expériences les plus traumatisantes qui soient. Les éleveurs s’arrangent pour que tous les porcelets naissent pile le même jour et donc leurs mères sont piquées aux oestrogènes et l’ocytocine pour synchroniser gestation et mise bat.
Comme on s’est arrangé pour que les truies n’aient plus 10 porcelets comme le prévoit la nature mais 17 ou 18, on bricole génétiquement des truies avec le nombre adéquat de tétines. Comme ces mamans cochons ne bougent pas de leur case, qu’elles dorment au-dessus de leurs déjections (le lisier) et que, bref, leur santé est fragile en ce milieu ultra confiné, on les bourre d’anti-inflammatoires et d’antibiotiques pour que nos petits porcelets ne tombent pas malades. Miam miam.
Le pot belge ou la mixture pour grandir
On ne produit plus de luzerne et encore moins de bonne herbe pour nourrir nos animaux d’élevage.
Non, quelques années après « la vache folle », on leur donne du « pot belge ».
Ce fameux mélange protéique et énergétique est composé de soja, de maïs, des plantes gourmandes en eau et souvent importées. On le sait, pour produire un kilo de viande, il faut au moins 4 kilos de végétal.
Viande : la côte de boeuf ça coûte cher
- 1 kg = 4,74 équivalents carbone = 79 km en voiture.
- Le boeuf émet du méthane, puissant gaz à effet de serre et, comme tous les ruminants, consomme souvent des plantes cultivées pour sa consommation : 10kg de fourrage pour obtenir 1 kg de viande de boeuf.
- Entre 1970 et 2009 la consommation de viande est passée de 25 kg par personne et par an à 38 kg. Or il faut :
- 4 calories végétales pour produire 1 calorie animale de porc ou de poulet,
- 11 calories végétales pour 1 de boeuf ou de mouton.
Le bilan écologique des usines à viande est sans appel. (1)
Selon la FAO, l’élevage industriel est la cause n°1 de l’émission de gaz à effet de serre (devant le transport ou l’industrie) et il est aussi responsable de 55 % de l’érosion de sols.
La Vérité sur la viande est l’appel de 23 experts internationaux pour dénoncer l’impact de l’élevage industriel sur le réchauffement climatique et les conséquences sur l’environnement.
L’azote et le blé
Pour mieux vendre leur blé, les céréaliers modernes ont tendance à avoir la main lourde sur les produits phytosanitaires et sur l’azote. Pourquoi ?
Parce qu’on détermine la qualité d’un blé en fonction de sa richesse en protéines ; c’est pourquoi un agriculteur a tendance à déverser plus d’azote sur les plants de blé. Mais voilà, si le plant de blé, dopé à l’azote est trop riche, il est trop lourd, tombe par terre et se gâche. Rappelons que l’azote est une menace majeure pour les cours d’eau (cf. les algues vertes, …).
Plutôt que de mettre moins d’azote, on a trouvé mieux : on a inventé des produits raccourcisseurs – en fait des hormones. Les plants de blé dopés à l’azote auront des tiges plus courtes qui ne plieront pas sous le poids de leurs lourds grains de blé.
Miraculeux non ?
La tomate dopée
Pour livrer un consommateur urbain qui adore les tomates, y compris au coeur de l’hiver, les agriculteurs bretons ont eu l’idée de les faire pousser hors saison – avec de l’azote bien sûr pour compenser le manque de soleil et de chaleur. Mais voilà, quand elle pousse en hiver, la tomate est accompagnée par des champignons qui profitent de l’humidité ambiante. Il faut donc éliminer les champignons avec d’autres produits, des fongicides.
Il faudrait aussi se demander s’il est important ou pas que les tomates d’hiver aient moins de goût et de qualité nutritionnelle… Rassurons nous, on travaille déjà sur une tomate d’hiver qui sera artificiellement enrichie. Ouf !
La pomme de terre et les herbicides
La pomme de terre est un aliment majeur et qui se produit à la tonne. Et donc toute amélioration des conditions d' »exploitation » est bonne à prendre.
Par exemple, pour rentabiliser le ramassage des pommes de terre, il vaut mieux les ramasser toutes en même temps. Mais alors les mauvaises herbes gênent. Les herbicides sont là pour ça.
Et puis, le consommateur veut de belles pommes de terre bien lavées, brillantes et bien calibrées. Autrement dit, on a besoin de pommes de terre qu’il faut nettoyer et défaner chimiquement. C’est absurde, car une pomme de terre bien terreuse se conserve mieux ; une pomme de terre non traitée chimiquement est au moins aussi bonne. C’est ainsi qu’évolue l’industrie de la « patate ». (Planetoscope sur la production de pommes de terre)
Mais ce sont en fait, tous les fruits et légumes qui sont pollués par les pesticides et les insecticides. (Quels sont les plus pollués ?)
Le maïs fou assoiffe campagnes et budgets
En France, le maïs est la deuxième production végétale derrière le blé : avec 16 millions de tonnes, notre pays est non seulement le 1er exportateur mais aussi le premier importateur de maïs en Europe. En 1939, le maïs, très gourmand en eau était cultivé sur 300 000 hectares. Depuis, l’Inra a mis à disposition des paysans un maïs hybride tout terrain qui se retrouve partout en France sur 16 millions d’ha. Y compris dans les zones où les ressources en eau sont trop limitées.
Plutôt que de faire pousser une céréale moins gourmande, on préfère subventionner le maïs via des aides à l’irrigation. Comme le souligne I. Saporta :
« On verse de l’argent pour irriguer, ce qui entraîne des restrictions d’eau, puis on paie pour aider les agriculteurs durant la sécheresse. » Pourquoi faire simple ?
Mieux, le maïs, ainsi devenu très rentable, est une source de pollution puisqu’on lui déverse un joyeux cocktail d’herbicides (2) : acétochlore, métolachlore, alachlore (interdit), atrazine (interdit), diméthénamide, …
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(1) Selon la FAO, rès de 70 % des terres arables sont consacrées à l’élevage, qui engloutit également environ 9 % des ressources en eau douce consommées chaque année. L’élevage favorise également la déforestation, du fait du manque de pâturages et du besoin de cultures fourragères pour nourrir les bêtes. EnAmérique du Sud, 70 % des terres autrefois boisées sont aujourd’hui consacrées à l’élevage.
(2) Selon le rapport de la cellule d’orientation régionale pour la protection des eaux contre les pesticides en Bretagne
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