Et si les végans n’étaient pas si « verts » que ça ? Pas très tendance, en ces temps de « lundi sans viande », de publier une lettre ouverte façon brulôt, destinée à tous ceux qui veulent continuer à en manger… sans culpabiliser ! Mais Paul Ariès, penseur anti-conformiste, politologue atypique, rédacteur en chef du mensuel écolo et altermondialiste les « Z’Indigné.es », n’a jamais hésité à aller à contre-courant des idées à la mode, ni à s’en prendre à des thèses parfois un peu trop évidentes ! Et c’est ce qu’il fait à nouveau dans sa Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser.
Une lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser par Paul Ariès – Et si les vegans n’étaient pas si verts que ça ?
Envie d’en lire plus ? Cliquez sur l’image
Pour peu qu’on ne fasse pas partie des idéologues purs et durs du veganisme – ceux qu’il fustige dans son livre Lettre Ouverte aux Mangeurs de Viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser– on peut trouver matière à réfléchir dans cet essai intéressant, qui s’adresse autant aux « mangeurs de viandes, de fromages et buveurs de lait » qu’à tous ceux qui ont décidé de s’en passer.
« Je dis aux végans : ne vous trompez pas d’adversaire, prévient l’auteur. L’ennemi, ce n’est pas l’éleveur, le salarié des abattoirs, le boucher, le restaurateur, l’omnivore… mais les financiers, qui ont fait de l’élevage une industrie, et des animaux, des machines à produire » !
La porte ouverte aux grands lobbys…
Lutter contre un « élevage productiviste », c’est louable, reconnaît Paul Ariès. Mais il est « simpliste » de vouloir mettre fin à toute forme d’élevage car nombre d’espèces domestiquées disparaîtront si l’homme, dont elles dépendent entièrement, ne les élèvent plus.
En outre, en ne distinguant pas l’élevage traditionnel de l’industrie animalière, les vegans font, paradoxalement, le jeu des grands lobbys de la viande – ceux-là même qui ont imposé au monde entier l’ensilage de maïs pour nourrir les vaches.
L’auteur regrette que les végans n’aient pas plutôt prêté main-forte à ceux qui prônent le « manger sain, bon et juste » et un bétail nourri à l’herbe (pratique positive en termes d’émission de gaz à effet de serre, les prairies pâturées constituant des puits et non des sources de carbone), plutôt que de combattre en faveur de la disparition de tout élevage, y compris traditionnel – ce qui, dans de nombreuses zones arides de la planète, risque de provoquer le retour de grandes famines.
Ce faisant, les végans soutiennent aussi les grands lobbys céréaliers et oléagineux – qui sont d’ailleurs souvent les mêmes que ceux de la viande ! Car s’il faut des quantités massives de céréales pour produire l’alimentation du bétail à cause des pratiques d’élevage intensif, il en faudra aussi de plus en plus, pour fournir des protéines végétales destinées à l’alimentation humaine, à la place de la viande.
Le soja est le plus utilisé pour ces substituts – alors que sa culture intensive est l’une de celles qui participe le plus à la déforestation de la planète, ravageant l’Amazonie.
Culture intensive de soja en hausse pour fournir des protéines végétales © Fotokostic
L’agriculture céréalière est déjà en tête des productions agricoles mondiales en termes de volume, deuxième en termes de valeur, après les fruits et légumes. Les variétés les plus productives ont été imposées grâce aux bio-technologies, mais elles ne parviennent à leurs meilleures performances qu’à grand renfort d‘irrigation massive, engrais chimiques, pesticides, herbicides, fongicides.
Il en faudrait d’autant plus si on supprimait l’élevage : car l’agriculture a un besoin vital d’engrais animal – surtout quand on souhaite nourrir la terre sans chimie. Mais sans élevage… plus de fumier ni d’amendements organiques !
Un marché porteur… et polluant !
Les principaux fabricants d’aliments végans sont déjà la propriété des plus grandes firmes agricoles, et leurs véritables propriétaires sont, directement ou indirectement, Dupont, Bayer, ExxonMobil, General Electric, Microsoft, Pfizer, Philip Morris, Walmart, Danone, Coca-Cola… Bref, des entreprises appartenant au top 10 des pollueurs atmosphériques !
Le marché des protéines végétales devrait continuer à croître de 8 % par an et atteindre dès 2020 les 5 milliards de chiffre d’affaires : ses investisseurs (tout comme les lobbys de la viande) financent activement la recherche pour des alternatives biotechnologiques à la viande.
Paul Ariès cite ainsi l’un des plus influents, Jeremy Coller, très impliqué dans la lutte contre l’industrie de la viande, « non pas pour revenir à des formes d’élevage traditionnel, respectueuses des animaux et des mangeurs, mais pour développer des substituts de protéines animales ».
Non seulement, ce développement favorise les grands groupes agro-industriels plutôt que les petits producteurs bio, mais se concocte dans une drôle d’arrière-cuisine : manipulations génétiques, biotechnologies… Rien de moins naturel !
Des viandes cultivées en labo, pas très écolo
L’agriculture e-cellulaire, qui ne vise pas seulement la production de simili viande, mais aussi de protéines alimentaires, gélatine, blanc d’oeuf, lait, permet déjà de fabriquer des viandes végétales à partir de levures et micro-organismes génétiquement modifiés, avec un succès croissant.
Ainsi, l’Impossible Burger, 100 % végétalien, lancé en 2016 par la start up Impossible Foods (activement soutenue par Bill Gates) s’est écoulé à 2,5 millions au début 2018 ! On devrait voir bientôt des “viandes” imprimées en 3D, à partir de cellules de boeufs et de porcs, cultivées dans des cuves de bio-incubateurs… Pas très écolo, tout ça !
Viande de laboratoire © nevodka
C’est pourtant, selon lui, la solution d’avenir pour un futur sans viande, sur laquelle misent les associations vegans et animalistes – PETA proposait par exemple, dès 2008, un million de dollars au premier scientifique développant une viande de poulet totalement synthétique(1) ! « Tout est prêt pour imposer ces fausses viandes », souligne Paul Ariès. « On dépose des milliers de brevets, on calcule le retour sur investissement. On joue à merveille sur la sensibilité de la souffrance animale ».
À l’extrême, certains penseurs du veganisme comme Gary Francione – l’un des principaux théoriciens de l’anti-spécisme, philosophie qui considère qu’aucune espèce n’est supérieure à une autre (ni l’homme, ni les espèces animales entre elles) – se refusent à soutenir les initiatives visant à améliorer le sort des animaux d’élevage.
La politique du pire ?
Rendre l’abattage plus humain, loin de servir les intérêts animaux, augmenterait en effet la consommation carnée, en « dédouanant » les mangeurs de viande, ce qui serait donc contre-productif ! « Les vegans sont partisans de la politique du pire ; soit en s’alliant avec les grandes firmes, soit en refusant de meilleures conditions pour les animaux », accuse Paul Ariès.
Ils se retrouvent aussi dans le camp des partisans de toutes les modifications génétiques : celles-ci permettraient par exemple d’empêcher les vaches de ruminer (les éructations de la panse des bovins représentent 14 % des gaz à effet de serre en 2013, selon la FAO), ou de rendre les animaux carnivores doux comme des agneaux, les empêchant de dévorer leurs congénères !
« L’antispécisme n’aime pas la nature et refuse de penser en termes d’espèces et d’écosystèmes », estime Paul Ariès. « Il aime les OGM, les AGM (animaux génétiquement modifiés) et demain, si c’était possible, les HGM (humains génétiquement modifiés). Il n’a que faire de la biodiversité chère aux écolos ! » remarque-t-il. Il cite à titre d’exemple Brian Tomasik, fondateur du Fundational Research, qui lui n’hésite pas à vanter les mérites des pesticides : « Ils pourraient réduire la souffrance nette des insectes, dans la mesure où ils diminueraient les populations d’insectes avec moins de souffrance que les insecticides », écrit ce ponte de l’anti-spécisme.
En pointant les excès du véganisme, Paul Ariès détruit ainsi le mythe du « doux écolo », végétalien par amour de la nature… et met au contraire en avant les dangers possibles de cette idéologie, portée à l’extrême, pour la planète et les humains.
Végans : doux écolos… ou apôtres de la destruction ?
Mystiques, religieuses, voire sectaires, ces dérives ne datent pas d’hier. À travers une histoire bien documentée du courant de pensée végétarien, Paul Ariès rappelle qu’il a souvent été associé au culte de la force et d’une certaine pureté originelle – d’où son succès actuel chez les animalistes néo-fascistes, comme par exemple le groupe Troisième Voie, dissous après le meurtre de l’activiste antispéciste Clément Méric, en 2013.
Sur les forums néo-nazis et suprémacistes blancs, l’idée que le végétarisme conduit à une « civilisation pure » est associée à « une politique animaliste qui justifie le mépris envers certains humains », remarque Paul Ariès.
Et quand certains activistes vegan prônent l’action violente, saccagent des boucheries ou se réjouissent de la mort d’un boucher dans un attentat islamiste, d’autres, comme David Pearce, gourou du transhumanisme, évoquent un futur « paradis » aux allures de Meilleur des Mondes totalitaire, sans plus aucune espèce carnivore, et avec herbivores « à constitution et aptitudes améliorées ».
Une vision qui fait plutôt froid dans le dos… Mais moins encore que celle du manifeste OOS (Only One Solution – L’unique solution), signé par des antispécistes : « Dans un monde sans humains, les bébés hyènes continueraient à se battre sans répit les uns contre les autres, les guêpes à pondre dans les corps des chenilles, les femelles dauphins à subir des viols collectifs… La seule solution radicale, complète et véritable à la souffrance du monde est de le détruire ».
Pas de généralisation : tous les végétariens et vegans ne sont pas des extrémistes © puhhha
Malgré son titre, le livre de Paul Ariès n’est donc pas une (vaine) tentative de conversion des végétariens et végétaliens aux plaisirs de la viande… mais se veut comme une mise en garde : « Amis végans, soyez attentifs à ne pas vous faire piéger… Le véganisme le mieux placé pour triompher, au XXIe siècle, n’est pas celui des bobos métropolitains, mais des fous furieux adeptes des post-animaux et des post-humains ».
Ce qui menace la planète aujourd’hui, tout autant que l’effet de serre, c’est l’extrémisme, le terrorisme, l’intolérance, la mainmise des lobbies.
Alors, si vous n’êtes pas végan, « devenez des mangeurs consciencieux », recommande l’auteur. Et si vous l’êtes, « restez vigilants aux excès d’une doctrine » qui peut amener le meilleur comme le pire. Dans les deux cas : lisez cette lettre ouverte, c’est un intéressant sujet de réflexion sur notre société !
Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser, Larousse, 9,95 euros
Illustration bannière : Trop de souffrance pour les animaux d’élevage – © Baronb