Que sait-on vraiment sur les loups ?
Il est extrêmement difficile de mener une enquête sérieuse, du point de vue scientifique, sur l’intelligence des loups sauvages. La plupart de ceux qui ont essayé, notamment le docteur David Mech, vous diront que les loups sont très timides et craignent de rencontrer l’homme. « J’ai marché pendant plus de 1400 kilomètres dans le Grand Nord Canadien », dit-il, et « je n’ai aperçu des loups au loin qu’une ou deux fois ».
La grande majorité d’études publiées sont basées sur l’observation de loups en captivité, ou en semi-captivité dans de grands enclos érigés dans la forêt. Nous vous conseillons à cet égard la vidéo (en anglais) Living with Wolves sur Jamie and Jim Dutcher, créateurs du film primé aux Emmy Awards : Winning Wolves at Our Door, qui ont passé six ans dans une tente pour observer des loups sauvages dans l’Idaho.
Pour essayer de mesurer l’intelligence des loups, les chercheurs mènent la plupart du temps des expériences sur la différence entre les loups et les chiens. Les résultats sont souvent surprenants.
Le loup plus ou moins intelligent que le chien ?
La première chose sur laquelle tous les experts sont d’accord est que l’ « intelligence » du loup est due en partie à son organisation sociale. Les loups vivent et chassent en meute et leur survie dépend de leur coopération intelligente pour trouver, isoler et tuer leur proie. Chaque meute comprend un couple alpha, les seuls à pouvoir se reproduire. Les autres loups sont dominés par le couple alpha et sont organisés selon une stricte hiérarchie.
C’est cette organisation, entre autres, qui distingue les loups des chiens. L’organisation sociale des chiens, à la différence des loups, comprend l’homme, qui les domine. Ce qui fait que les loups sont plus doués que les chiens pour résoudre certains problèmes, par exemple la distribution de la nourriture. Des loups « négocient » entre eux la répartition de la viande, alors que les chiens ne coopèrent pas : le chien alpha prend tout et les autres l’évitent tant qu’il mange. En fait, les chiens attendent que l’homme leur montre comment faire, alors que les loups résolvent le problème ensemble.
Dans une expérience menée par Friederike Range, biologiste spécialisée dans le comportement animal à l’université des sciences vétérinaires de Vienne(6), on a présenté à des loups et des chiens élevés ensemble une boîte contenant de la nourriture. Pour ouvrir la boîte, il fallait actionner un levier. L’un des chiens a été dressé à actionner le levier avec sa bouche et un autre à le faire avec sa patte. 15 chiens et 12 loups ont regardé les deux animaux dressés ouvrir la boîte, puis ont essayé de le faire eux-mêmes. Les chiens ont globalement échoué : seuls 4 ont réussi à ouvrir la boîte, mais aucun n’a utilisé la technique de ses congénères. Par contre les 12 loups ont tous réussi l’expérience et 9 entre eux ont utilisé la technique des chiens dressés.
Conclusion ? Les chiens ne sont pas nécessairement moins intelligents que les loups, mais ils ont « désappris » à coopérer pour résoudre un problème collectivement en regardant les autres. Ils ont « troqué » en quelque sorte une partie de leur savoir-faire, mais en contrepartie ont gagné la capacité d’apprendre des hommes. Avant d’agir, en fait, ils attendent un ordre d’un humain. En ceci, ils ressemblent plus aux enfants humains qu’aux animaux sauvages. D’ailleurs, dans de tels tests d’intelligence, les nourrissons humains et les chiens ont souvent des résultats semblables, tous les deux différents de ceux des loups.
Séparer le fantasme de la réalité
Chaque fois qu’on aborde la question des loups il faut commencer par trier l’imaginaire du réel. Nos romanciers modernes peuvent, à leur façon, fantasmer autant, ou presque, que les villageois médiévaux. À l’époque, on attribuait surtout des qualités négatives aux loups : cruels, anthropophages, diaboliques. Aujourd’hui on a tendance à ne leur attribuer que des qualités positives : ils sont beaux, intelligents, libres. La réalité est, ici comme ailleurs, à la fois plus simple et plus compliquée. Plus simple car, une fois écartés les préjugés et les fantasmes, on s’aperçoit que, oui, les loups sont des animaux intelligents, mais qu’ils n’ont ni des pouvoirs surnaturels, comme le laissent croire le roman de Judi Picoult, ni une sorte d’intelligence maléfique, comme nous disaient des siècles d’obscurantisme religieux.
Le loup serait-il plus intelligent que l’homme ? © Shutterstock
Plus complexe car nos scientifiques commencent juste à comprendre la nature de l’intelligence animale. Aujourd’hui, le plus important est peut-être de bien comprendre leur rôle dans l’organisation naturelle. Un milieu naturel équilibré a nécessairement un grand carnivore en haut de la chaîne. Par exemple, dans les grands parcs de l’ouest américain les Rangers se sont aperçus que certains espèces d’arbres disparaissaient parce qu’il y avait trop de cerfs et d’élans. Une fois les loups réintroduits, l’équilibre naturel s’est rétabli et les arbres se sont remis à pousser… En Europe, l’introduction des loups dans nos régions montagneuses se heurte à l’opposition des bergers et éleveurs, ce qui est peut-être normal, mais il faudra bien trouver un compromis si on veut vraiment protéger la biodiversité dans nos espaces sauvages, contrairement aux décisions récentes du gouvernement envers les loups(7).
Illustration bannière : Le loup serait-il plus intelligent que l’homme ? © Shutterstock