Ikea, c’est l’inverse de la préférence à l’économie locale
- Mondialisation extrême
Par ailleurs, quand un consommateur achète un meuble Ikea, il doit le faire en connaissance de cause : le produit qu’il acquiert aussi peu cher ne provient jamais de son propre écosystème régional.
Comme bien des produits modernes, le meuble Ikea incorpore en quelque sorte des dizaines de milliers de kilomètres parcours par ses différentes composantes (matières premières, pièces détachées, emballages, notice, …).
Il n’y a guère que les derniers maillons de la chaîne qui font travailler l’économie locale que le consommateur appelle souvent de ses voeux : le magasin lui-même bien sûr et parfois le marketing confié à des publicitaires nationaux (publicités, catalogues, …).
Pourtant, ironique paradoxe, Ingvar Kamprad, génial communicateur, a su marteler l’image d’un Ikea proche des valeurs petites gens : parcimonie, économie, modestie, labeur. Le fondateur lui-même cultive sa propre légende de simplicité et d’honnêteté, presque rustique qui se lit avec gourmandise après les révélations récentes : le « Testament d’un négociant en meubles » … et ajoute-t-on en Suède : « qui ne publie pas ses comptes et délocalise ses bénéfices par milliards ».
Cette légende vertueuse n’en est que plus en contraste avec la réalité d’une multinationale, féroce négociatrice avec ses fournisseurs, à l’éthique élastique face au fisc et au bien commun et dont l’opacité de la gouvernance alimente la suspicion.
Ainsi, fin 2009, un livre à charge contre le patron d’Ikea n’avait pas réussi à entamer sa popularité parmi les Suédois. La Vérité sur Ikea (2) brossait un portrait pourtant acide d’ Ingvar Kamprad taxé de brutalité, pingrerie, misogynie, hypocrisie, opacité et népotisme. Excusez du peu.
Alors, faut-il regarder Ikea avec méfiance ?
Ses nombreuses initiatives en matière de développement durable ne sont-elles somme toute pas un peu dérisoires si on prend en compte le modèle global d’une entreprise qui par nature lui fait prêter le flanc aux critiques éthiques et écologiques ? Que pèsent quelques salariés qui font l’effort de covoiturer face à la force irrésitible de magasins qui font se déplacer des millions de consommateurs en périphérie de villes … en voiture ? Que vaut l’achat de meubles FSC si on fabrique des meubles faits pour ne pas durer ?(3)
Et finalement, toutes les grandes multinationales ne sont-elles pas prises dans ce paradoxe que leur impose leur modèle économique et qui les rend suspectes de greenwashing* ?
Ce qu’on peut au moins reprocher à Ikea, ce n’est pas d’être une entreprise mondialisée à bas prix mais plutôt d’entretenir une légende qui tente de la faire passer pour ce qu’elle n’est pas. On aimerait surtout que les initiatives mises en avant en matière de développement durable aillent plus loin.
Qu’il s’agisse de réduire les gaspillages en énergie (4), d’utiliser du bois vraiment durable (5), de se conformer à Reach en matières de produits chimiques (6), de covoiturage (le leko voiturage), de conditions de travail dans les usines sous-traitantes (7), … de nombreux experts regrettent que les choses ne soient pas approfondies et s’arrêtent à des résultats de surface.
Ce n’est qu’ainsi que le temple de la grande consommation de la déco et de l’ameublement pourrait se concilier le consommateur moderne : celui qui veut acheter à une entreprise irréprochable qui partage pleinement ses valeurs.
Articles sur Ikea rédigé par Jean-Marie
(1) Ikea limite ses stocks au strict minium et fonctionne en flux tendus. Le réassort quotidien des magasins est assuré par 28 plates-formes logistiques géante à traver le monde. Le dépôt central se situe à Älmhult, au sud de Stockholm. Les sous-traitants jouent le rôle d’amortisseurs
(2) La vérité sur Ikéa, Sanningen om IKEA, de Johan Stenebo, ancien salarié d’Ikea.
(3) Voir l’article sur l’obsolescence programmée des produits modernes.
(4) Ikea a pris l’engagement de réduire de 25 % sa consommation énergétique totale par rapport à 2005 (par mètre cube vendu en magasin et mètre cube déplacé dans les dépôts centraux) et d’utiliser 100 % d’énergies renouvelables pour les besoins en électricité et chauffage des unités IKEA,
(5) Outre ses meubles, Ikea consomme du bois pour imprimer quelque 200 millions de catalogues papier.
(6) Ikea a fait partie des entreprises qui se sont engagées les premières à aller au-delà des normes imposées par la réglementation européenne Reach sur les produits chimiques
(7)En 1994, Ikea a été attaquée sur le travail des enfants chez ses sous-traitants indiens et a réagi par des mesures contre ces abus. En partenariat avec l’Unicef, Ikea a décidé de développer les bourses aidant à la scolarisation des adolescents, notamment certains repérés dans les usines de ses fournisseurs. En 200, Ikea a promu un code de conduite , « Iway », inspiré des conventions de l’OIT, l’Organisation internationale du travail. Certains experts comme Lourthusamy Arokiasamy, de l’ONG indienne AREDS , Association of Rural Education and Development Service, partenaire d’Oxfam, regrette de ne pouvoir contrôler si ces dispositions sont appliquées ou pas du fait de l’éclatement de la chaîne de sous-traitance : « Chez les sous-traitants de la marque qu’on connaît, les ateliers sont souvent plus propres et les conditions de travail ne sont pas pires qu’ailleurs, bien que les salaires soient aussi bas. »
* Voici un exemple de communication officielle d’Ikea pour présenter ses initiatives dans un rapport annuel sur le Dev. Durable, ici en matière de choix d’essences de bois par exemple : « Parce que sa stratégie de développement a toujours intégré le respect des hommes et de l’environnement, IKEA a établi des partenariats avec plusieurs institutions et ONG afin de prendre les bonnes décisions«
Pour aller plus loin sur Ikea
– Le rebond du modèle scandinave, Marie-Laure Le Foulon, éd. Lignes de repères, 2006.
– Ikea : un modèle à démonter d’Olivier Bailly, Denis Lambert et Jean-Marc Caudron, éd. Luc Pire, 2006.