Parmi les mesures préconisées, l’instauration d’un revenu minimum universel, qui permettrait à chacun de vivre décemment. Cette mesure pourrait sonner le glas du travail salarié, déjà mis à mal par la précarité, l’augmentation du travail indépendant ou la multiplication des employeurs. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant l’avènement de l’oisiveté généralisée.
Si l’introduction au niveau national d’un tel revenu représenterait une première en Europe, son expérimentation dans d’autres parties du monde permet d’en imaginer les impacts face aux fantasmes que suscitent une telle mesure, à droite, comme à gauche.
Le revenu minimum universel : une idée de droite comme de gauche
En France, l’idée d’un revenu minimum universel séduit plus à gauche qu’à droite : 3 sympathisants de gauche sur 4 réservent à l’idée l’accueil le plus favorable, contre 1 sur 2 à droite, selon un sondage IFOP paru début 2015. L’ancien ministre UMP (aujourd’hui Les Républicains) du Budget, Eric Woerth, évoque la question dans son récent ouvrage, « Une crise devenue française, quelle politique économique pour la France ? », tandis que l’ancien ministre socialiste du redressement industriel Arnaud Montebourg a également abordé le sujet.
En Finlande, le Premier Ministre de centre-droit, Juha Sipilä, a annoncé dans son discours de politique générale fin juillet, souhaiter expérimenter dans une région de la Finlande un revenu minimum universel inconditionnel de 1.000 euros « permettant d’éradiquer la pauvreté ». L’idée est approuvée par une très large majorité des citoyens, tous bords confondus.
L’annonce du Premier Ministre est reçue positivement par 79 % des sondés et plus des deux-tiers des députés, tandis que le niveau de l’allocation proposée va croissant de la gauche à la droite de l’échiquier politique : 440 euros pour les Verts, 620 pour l’Alliance de gauche, entre 850 et 1.000 euros pour les libéraux.
Plus largement, l’idée d’un revenu minimum universel est l’apanage des partis et intellectuels de gauche : le parti radical espagnol Podemos a suggéré l’idée dans son programme.
En Suisse, une initiative de référendum sur un revenu de base se tiendra dans les prochains mois. Les initiateurs proposent un niveau de revenu qui permette de vivre dignement. Enno Schmidt, l’un des initiateur du groupe Génération Revenu de Base, explique sur le site de l’initiative :
« Le principe est que chaque personne reçoit ce revenu de base, sans condition, quels que soient la manière dont il vit et ce qu’il fait. Il est fixé assez haut pour en vivre et dure toute la vie. Que se passe-t-il alors ? Les allocations inférieures au montant du revenu de base disparaissent. Les autres subsistent, mais elles seront bien moins nécessaires. Que se passera-t-il d’autre ? Les salaires seront renégociés. Avec un revenu de base, je peux dire non à une offre peu alléchante. Et oui à ce que je veux réellement ».
Il poursuit : « Avec un revenu de base, j’ai déjà un revenu quand je me présente à l’embauche. Le salaire est complété par un revenu dont le montant garantit ma subsistance. Le travail intéressant, que les gens aiment faire, deviendra meilleur marché. Le travail peu attractif, que les gens n’aiment pas faire, sera mieux payé, parce que personne ne peut être forcé de le faire pour survivre. Le revenu de base ne veut pas nécessairement dire plus d’argent. C’est la nature inconditionnelle du revenu qui est importante ».
Trouvant ses origines tant dans la philosophie marxiste que libérale, l’idée du revenu minimum universel est aujourd’hui défendue au niveau mondial par des voix aussi diverses que les altermondialistes, les libertariens, et des associations regroupées pour certaines au sein du collectif Basic Income Earth Network.
À quoi bon travailler ?
C’est la question que l’on est en droit de se poser, et que soulèvent les opposants au projet : si l’on reçoit, sans rien faire, un revenu permettant de vivre, pourquoi travailler ? Le travail ne deviendrait-il pas un simple « choix de vie » ? N’encouragerait-il pas l’oisiveté, voire des comportements délétères pour la société ?
Par cette mesure, le gouvernement finlandais annonce bien au contraire vouloir « développer l’initiative et pallier les inégalités », dans un pays certes riche – la Finlande affiche un PIB par habitant d’environ 44.830 euros, supérieur à celui de l’Allemagne (43.910 euros) et de la France (37.741 euros) – mais au niveau de chômage élevé : 10 % actuellement. Précision importante : le salaire remplacera toutes les aides sociales existantes.
4 objections principales au revenu minimum universel, ou ‘revenu de base’
Le revenu minimum universel soulève généralement quatre types d’objections :
- Il serait difficilement finançable, ou coûterait trop cher ;
- Il découragerait le travail, objection principale de la droite ;
- Il serait même immoral car versé à des personnes qui n’en ont pas besoin et qui abusent le système, alors que les contrôles se font toujours plus pressants, notamment dans les pays anglo-saxons envers les ayant-droits ;
- Il serait injuste car laissant à certains la tâche de travailler et générer de la richesse.
En France, la question des fonctionnaires est aussi à soulever puisque ces derniers ne sont pas licenciables. Si une telle mesure devait se mettre en place en France, il faudrait trouver un nouveau poste à tous les fonctionnaires s’occupant jusqu’alors de la gestion des aides sociales du pays.
En Suisse, dans cet esprit, les députés ont rejeté en septembre dernier la proposition des citoyens de mettre en place un revenu universel. Ceux-ci, à la quasi-unanimité, craignent un alourdissement de la fiscalité qui nuirait à la stabilité du pays. Son estimation toutefois s’est basé sur un scénario de revenu minimum universel de 2.500 Francs suisses, beaucoup plus que les défenseurs de l’idée estiment nécessaire.
La question essentielle pour chacun est : qu’allez-vous faire de votre vie quand votre revenu pour survivre sera sécurisé ? Être à la hauteur de cette question sera ardu et chacun devra trouver sa propre réponse. Certains en profiteront pour faire la grasse matinée, mais c’est leur liberté – je n’y vois pas de problème moral ou même économique.
Enno Schmidt, initiateur du référendum sur le revenu de base suisse
Un revenu minimum universel : plus d’inflation ?
Certains se demandent aussi si le revenu de base ne va créer de l’inflation. L’économiste français Baptiste Mylondo, enseignant en économie et philosophe politique, estime, dans son livre Un revenu pour tous, qu’il « est difficile d’anticiper l’impact économique d’un revenu inconditionnel et ce qui suit n’est qu’une projection hasardeuse. Suite à l’instauration d’un revenu inconditionnel, on peut en effet imaginer une augmentation des prix qui résulterait d’une hausse des rémunérations des emplois les plus pénibles. Puisqu’on observe une rigidité à la baisse des salaires, il est peu probable que cette hausse du niveau de rémunération des emplois pénibles soit contrebalancée par une baisse du niveau de rémunération des emplois les plus plaisants et gratifiants. »
Mais, poursuit-il, « finalement, l’augmentation des prix qui en résulterait serait-elle injuste ? Elle traduirait la juste rémunération versée à chaque salarié, revenant donc à appliquer à l’ensemble de l’économie les règles du commerce équitable. Pour que le revenu inconditionnel conserve toute sa pertinence, on pourrait alors en augmenter le montant pour tenir compte de l’inflation. Mais on pourrait aussi accepter une baisse quantitative de la consommation du fait de sa hausse qualitative : consommer moins mais mieux ».
Le revenu minimum : un luxe de pays nanti ?
Le revenu de base a été à ce jour expérimenté dans différentes parties du monde, notamment au Canada, en Inde, et en Namibie. L’Alaska, grâce à sa manne pétrolière et minière, a mis en place l’Alaska Permanent Fund.
Les expériences menées à ce jour montrent que la garantie d’un revenu ne provoque pas d’abandon de travail, et donc que les recettes fiscales de l’État ne s’effondrent pas par la baisse de l’activité marchande. Alors, qui osera en premier essayer le revenu minimum universel ?