Face au dérèglement climatique de plus en plus manifeste, notamment durant les vagues de chaleur, nous ne pouvons plus nier l’impact de nos modes de consommation sur l’environnement. Doit-on se tourner vers une décroissance pure et simple pour tenter, à notre échelle, de freiner le réchauffement climatique ?
La situation actuelle, urgente, interpelle ainsi tout un chacun sur sa manière de vivre, de consommer et sur ce qu’il est possible de faire pour tenter d’inverser la spirale infernale du réchauffement climatique, ou tout du moins la freiner. Pour ce faire, certains prônent la décroissance en partant d’un constat simple : la croissance appelle l’énergie, laquelle entraîne une production de CO2 (qui varie en fonction des sources) beaucoup trop importante par rapport à ce que notre planète peut absorber. Donc en inversant la tendance, autrement dit en amorçant une décroissance, les émissions de CO2 diminueraient. Un raisonnement en apparence imparable, porté par de nombreux écologistes. Mais, est-ce aussi simple ?
La décroissance est positive pour l’environnement, mais…
L’idée est en effet séduisante : consommer moins, pour mieux vivre. En plus de préserver notre porte-monnaie, entrer en décroissance permet de protéger la planète. Un fait incontestable que nous avons d’ailleurs pu constater récemment avec deux évènements majeurs en ce début de siècle : suite à la Grande Récession de 2008, puis durant la crise Covid et le premier long confinement qui en a découlé en 2020.
En 2008, le PIB mondial s’est mis à chuter, entraînant une diminution vertigineuse de la production et du commerce international, avec pour conséquences : un chômage de masse et une pauvreté extrême pour les plus fragiles, à savoir les plus exposés à la précarité. En 2020, un scénario à peu près idem s’est produit, mais en plus accentué avec une baisse du PIB plus importante. Dans les deux cas, la plupart des indicateurs « écologiques » sont repassés au vert. Puis, lorsque la croissance a inexorablement repris son cours, ces mêmes indicateurs sont repassés au rouge ; preuve s’il en fallait une que la décroissance a bien un impact positif mesurable et indéniable sur l’environnement. Sur un plan social, force est aussi de constater que les impacts de la décroissance poussent à la précarité de trop nombreuses personnes.
Reste que l’humanité consomme chaque année bien plus que ce qu’elle peut naturellement régénérer. Un phénomène nommé « jour du dépassement », dont la date fatidique a avancé jusqu’à être aujourd’hui déclarée dès le mois d’août… Etant donné que nous devrions être près de 8 milliards d’humain sur Terre d’ici la fin de l’année 2022, à l’échelle individuelle, pour entrer en décroissance, nous devrions donc réduire drastiquement notre train de vie. Un constat déjà compliqué à appliquer pour un Européen et qui l’est d’autant plus pour un Indien ou un Chinois (lesquels représentent d’ailleurs une importante part de l’Humanité) pour qui la nouvelle classe moyenne peut désormais accéder à des modes de vie tant espérés. Sans parler des pays en développement, à l’instar de ceux d’Afrique subsaharienne pour qui l’électricité n’est encore qu’un rêve pour de nombreux foyers (seuls 30 % des foyers en sont en moyenne équipés).
Si la décroissance est donc une solution qui fonctionne d’un point de vue environnemental, d’un point de vue sociétal, son acceptation ne semble pas gagnée d’avance. D’autant plus lorsqu’un sentiment d’injustice sociale règne. Dernier exemple en date : le gouvernement actuel, préconisant aux Français de couper leur WiFi pour faire des économies d’énergie, tandis que les voitures de nos dirigeants attendent moteurs allumés, climatisation en marche, que le Conseil des ministres se termine…
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La crise climatique ne se résoudra pas sans justice sociale
Comme le souligne si bien le GIEC dans son dernier rapport alarmant : les catastrophes environnementales telles que les incendies qui ont récemment ravagé des hectares de forêts en France, sont vouées à se multiplier à l’infini. Ainsi, quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les conséquences du réchauffement climatique vont toucher la planète entière, impactant notre alimentation, notre santé, nos infrastructures et nos économies. Mais, toutes les populations ne sont pas logées à la même enseigne : leur niveau de vulnérabilité dépendant de leur niveau de développement. Le continent africain, alors même qu’il contribue très peu aux émissions de gaz à effet de serre, fait ainsi partie des plus touchés par le dérèglement climatique. Les plus responsables n’étant pas les plus vulnérables, il est d’autant plus difficile d’appeler à la décroissance tout un chacun.
La crise climatique ne peut donc se résoudre sans justice climatique, un fait qui se mesure entre les différents pays, mais aussi entre les classes sociales au sein d’une même nation, ainsi que les différentes générations. Une partie des nouvelles générations étant ainsi bien plus consciente des enjeux environnementaux et de l’impact de nos modes de vie, à l’instar du collectif Dernière Rénovation, qui veut par ses blocages de grands axes routiers et interruptions d’évènements médiatiques imposer la rénovation énergétique thermique et financer celles des ménages les plus précaires. Au coeur de leur projet cette même logique : la crise climatique ne se résoudra pas sans justice sociale.
En effet, pour ne citer que la France et sans même parler de décroissance, comment faire adhérer la majorité des Français à une notion de sobriété énergétique, lorsque les minorités les plus aisées continuent à accroître leur richesse – pour les milliardaires, la pandémie a ainsi été une aubaine notamment en raison d’argent public versé sans condition, dénonce l’ONG Oxfam dans un rapport – tout en profitant d’un mode de vie ultra-polluant. Exemple : les déplacements en jet privé de Bernard Arnault, patron de LVMH, au bilan carbone faramineux.
Reste que la décroissance, telle qu’elle est prônée par ses partisans les plus radicaux, ne serait pas forcément souhaitable d’un point de vue sociale. En effet, si la sobriété entraîne par essence le rejet d’une bonne partie de la production actuellement présente sur le marché – dont l’utilité réelle est en effet contestable -, peut-on pour autant absorber ses conséquences économiques ? D’autres partisans de la décroissance proposent ainsi une approche plus nuancée, en proposant une croissance davantage verte.
Décroissance ou croissance verte ?
Encourager les activités dites « vertes », à savoir faiblement émettrices de CO2, en freinant les activités les plus polluantes pourrait ainsi favoriser un changement moins brutal qu’une décroissance pure et simple. Encourager la croissance d’autres systèmes économiques, comme l’économie circulaire, pourrait aussi faire office de solution. Reste qu’elle pose un problème d’appréciation : définir la frontière entre les activités « vertes » et celles qui ne le sont pas. Un partage pas aussi évident qu’il ne le paraît. Dernier exemple en date : le remplacement des véhicules à moteur thermique par les voitures électriques. Une décision qui ne manque pas de faire débat avec une question cruciale : les voitures électriques sont-elles réellement moins polluantes ?
Autre manière d’envisager la décroissance, abandonner tout simplement toute notion de croissance, à l’image de Delphine Batho, candidate à la primaire EELV qui en septembre dernier livrait alors à Reporterre son souhait : « Que toutes les décisions soient prises non pas en fonction des bilans comptables et de la course folle à la surchauffe économique, mais en fonction du bien-être humain, de la lutte contre le réchauffement climatique et de la préservation du vivant. » Une définition de la décroissance qui si elle a le mérite d’être claire en termes de lutte contre le réchauffement climatique, peut amener à débattre en ce qui concerne le bien-être humain.
En effet, comment définir le bien-être humain ? Est-ce simplement – au vu de l’urgence de la situation – pouvoir vivre dans un monde aux conditions climatiques supportables, ou bien profiter d’un logement confortable et bien chauffé et de biens matériels améliorant la qualité de vie ? Vaste question qui peut amener plusieurs réponses, dont certaines simplement d’ordre moral. Comme le dit si bien Clément Sénéchal, activiste et porte-parole climat de Green Peace France : « Si le capitalisme parvient à détruire la planète en plein jour, sous nos yeux, c’est d’abord parce qu’il est une force de destruction du sens moral. » Et vous, qu’en pensez-vous ?
La lutte contre le réchauffement climatique passe-t-elle nécessairement par une décroissance ardue ?Poll Options are limited because JavaScript is disabled in your browser.
Oui, la décroissance est indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique 58%,
Une décroissance plus nuancée est souhaitable, notamment pour permettre l'adhésion de l'ensemble de la population 38%,
Non, aucune décroissance n'est nécessaire, la croissance étant même souhaitable 4%,
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