Le 17 décembre est lancé le plan national pour l’agroforesterie. Occasion d’insister sur l’importance d’une révolution dans le soin accordé aux sols, stock de carbone et atout essentiels pour la biodiversité.
Imaginez de nouveaux paysages agricoles avec des parcelles de tailles plus modestes couvertes toute l’année par différentes cultures et entourées de haies et où des rangées d’arbres sont plantées de façon régulière dans les champs. L’enjeu ? Permettre à l’agriculture d’être une solution dans la lutte contre le changement climatique en étant en capacité de stocker du carbone par des sols riches en humus et par une biodiversité riche aux abords des champs grâce à une place redonnée à l’arbre. Cependant il faut agir vite : l’état des sols agraires est aujourd’hui très préoccupant sur l’ensemble du globe.
Déjà un tiers des sols arables perdus
Une étude du centre Grantham pour des futurs durables présentée lors de la COP21 appelle à une « restructuration radicale des systèmes agricoles occidentaux ». En effet l’érosion et la pollution, nous dit ce rapport, ont causé la perte d’un tiers des terres arables. Le rythme d’érosion est aujourd’hui cent fois plus élevé que la capacité des sols à se reformer et ceci dans un contexte où les besoins alimentaires augmentent. Or, il faut compter 500 ans environ pour retrouver 2,5 centimètres d’épaisseur de terre fertile dans des conditions écologiques stables.
Il est donc aujourd’hui primordial d’opérer des changements radicaux dans les modèles agricoles pour ne pas arriver à une disparition majeure des sols arables sur l’ensemble du globe.
Les sols : un puits de carbone majeur
Ceci est d’autant plus important que les sols, en perdant leurs matières organiques, ne jouent plus leur rôle de capteurs de carbone, tandis qu’un sol vivant, c’est-à-dire riche en humus, est en capacité de stocker plusieurs tonnes de carbone. Or, nous explique Alain Cagnet, président de l’association française d’agroforesterie, nos modèles agricoles dégradent les sols et sont émetteurs de CO2 du fait de sols laissés nus durant plusieurs mois de l’année et « un sol nu est un sol mort », insiste-t-il.
Ainsi la France, qui devrait stocker 50 % de carbone par ses sols agricoles grâce à l’absorption par les plantes du dioxyde de carbone lors de la photosynthèse puis de la digestion du carbone par les organismes vivants dans les sols, voit aujourd’hui 95 % des sols cultivés perdre de la matière organique. C’est-à-dire que les sols agricoles français ne jouent pas le rôle de puits de carbone. De plus, ils risquent de devenir stériles dans quelques années s’ils continuent à perdre de la matière organique.
Maintenir un couvert végétal permanent
« Les nouveaux modèles agricoles, nous explique encore Alain Cagnet doivent tendre à ressembler aux écosystèmes forestiers ou aux prairies permanentes qui voient leurs sols toujours couverts. La nature n’est pas fait pour être nue. Le sol a besoin d’un couvert végétal permanent pour réaliser les échanges d’eau, d’azote et de carbone nécessaire à la croissance des plantes et le carbone par la photosynthèse est au carrefour du cycle de l’eau et de l’azote. »
Or, les modèles occidentaux actuels basés sur le labour et la monoculture mettent à nu le sol une grande partie de l’année en exposant à la lumière, au vent et à l’érosion pluviale. Cette érosion est d’autant plus accentuée que les terres agricoles se sont fortement agrandies à la fin de la seconde guerre mondiale avec un ruissellement de l’humus sur de grandes distances. L’humus est ce qui résulte de la décomposition des matières végétales et animales sous l’effet des organismes présents dans la terre qui se nourrissent de ces matières.
Aujourd’hui, les rendements agricoles en France sont en baisse malgré une utilisation croissante des produits phytosanitaires.
Agroforesterie et permaculture pour restaurer les sols et stocker le carbone
Face à ce constat, l’agroforesterie s’impose de plus en plus comme solution pour un système agricole capable de produire tout en préservant les sols dans un contexte où les conditions climatiques extrêmes vont se manifester de manière croissante. Pour le maraîchage, la solution est la permaculture. « Il ne s’agit donc pas de se sacrifier, nous explique Alain Cagnet, mais de produire tout en protégeant ». Dans ces systèmes agroforestiers, plusieurs cultures sont échelonnées sur une année.
Sols : et si on stockait le carbone dans nos champs de blé ?
Prenons un cultivateur de blé en période de récolte : la paille est laissée sur place et dans celle-ci est semée une légumineuse (luzerne, trèfle) en semis direct, c’est-à-dire sans labour. Ceci fournira au sol l’azote que les céréales ont capté sans être en capacité d’en restaurer au sol. Le sol couvert maintiendra son humus et retiendra plus facilement l’eau. Le blé ou une autre céréale sera semé lui aussi en semis direct au sein de cette légumineuse préalablement écrasée et qui constituera un engrais vert.
Enfin, afin de réduire encore plus fortement l’érosion et permettre une infiltration plus facile, l’arbre sera présent soit sous forme de haie tout autour du champ, soit par des lignes de plantation régulières en plein champ. Ils permettront également de restaurer tout un écosystème en fournissant refuge et nourriture pour les auxiliaires de culture telles les abeilles.
« Celles-ci sont 2,3 fois plus nombreuses à l’hectare dans les systèmes agroforestiers, du fait d’une nourriture plus abondante et présente toute l’année », nous explique Alain Cagnet.
Ce message semble avoir été entendu lors de la COP 21 avec un bonne place réservée à ces nouveaux modèles agricoles lors des différentes interventions en lien avec l’agriculture.
Les acteurs politiques doivent maintenant se saisir de cet enjeu
Les solutions techniques sont maintenant mûres avec plus de 25 années d’expérimentations qui ont permis d’optimiser ces modèles agroforestiers. « Il est maintenant nécessaire de changer d’échelle et pour cela que les acteurs politiques comprennent l’enjeu que représente la protection des sols », explique Monsieur de Boisgonthier de la Confédération paysanne, ancien porte-parole au niveau européen.
Il est maintenant nécessaire de changer d’échelle et pour cela que les acteurs politiques comprennent l’enjeu que représente la protection des sols.
« Les élus locaux doivent mettre en place des politiques volontaristes pour favoriser l’installation ou la reconversion d’agriculteurs soucieux de lier production et protection face à des acteurs économiques qui n’ont pas nécessairement intérêt à voir des clients leurs échapper », ajoute-t-il. C’est particulièrement le cas des entreprises de vente d’engins agricoles et de produits phytosanitaires. « Le monde économique et technique concentrés sur les indicateurs uniquement économiques ne voient pas encore l’intérêt de ces techniques. Le monde politique doit être chef de fil pour l’émergence à grande échelle de ces nouveaux modèles agricoles », nous explique encore Monsieur de Boisgonthier.
Une formation accrue des agriculteurs et une vigilance de la société civile
« Dans ce besoin de changer de modèle agricole Il est important que les agriculteurs lancés dans cette aventure depuis plusieurs années témoignent auprès des autres agriculteurs et les forment. Il est également nécessaire que les structures officielles et tout particulièrement les lycées agricoles orientent leurs formations vers ces techniques », insiste quant à lui Alain Cagnet.
Ceci est d’autant plus important que dans un monde agricole moribond sur le plan de l’emploi et de la pyramide des âges ces modèles agricoles suscitent un nombre important de vocations qui pourront remplir de nouveau les campagnes. « Cependant il est nécessaire qu’en parallèle un travail soit fait au niveau politique pour permettre l’accès au foncier aux personnes souhaitant s’installer », souligne M. de Boisgonthier. « Enfin, la société civile dans son ensemble doit être exigeante sur la qualité des produits sur les plans de la nutrition et du respect des sols et de la biodiversité, tout particulièrement dans la restauration collective », conclut M. de Boisgonthier.
Un chemin encore long mais de l’espoir à venir
Nous pouvons espérer que ces nouveaux modèles monteront en puissance dans les prochaines années avec toujours plus de jeunes en formation agricole s’orientant vers ceux-ci, notamment avec le lancement le 17 décembre du plan national de l’agroforesterie et le programme 4 pour 1.000, un programme international pour « améliorer les stocks de matière organique des sols de 4 pour 1.000 par an » et ainsi permettre la séquestration d’une quantité importante de CO2.