RSE : le consommateur prend le pouvoir
Pour être à l’aise en tant que clients, les consommateurs veulent donc, on l’a vu, que les multinationales leur donnent le pouvoir et suivent leurs aspirations de consommacteurs. Au cours d’un rassemblement appelé le Global Consumer Goods Forum [2] qui s’est tenu à Paris en 2014 avec 400 des plus grands Pdg du monde entier, on a pu avoir un aperçu de leur état d’esprit sur ces sujets. Notons au passage que le slogan de cette organisation est « DRIVING POSITIVE CHANGE GLOBALLY », qu’on peut traduire par « Piloter un changement positive partout ».
Ce qui frappe actuellement c’est la notion, assez large mais significative, de « capitalisme créatif » de plus en plus présente dans les politiques de ces entreprises géantes. Au-delà de certaines innovations gadgets dont on voit mal la plus-value éthique ou RSE, certains engagements de fond pris lors du rassemblement méritent d’être cités :
- Le zéro déforestation à atteindre d’ici 2020, un objectif qui suppose une réforme profonde de la chaîne d’approvisionnement,
- La rejet total des hydro-fluorocarbones pour toute la chaîne du froid d’ici 2015,
- Le rejet de la malbouffe (junk food) destinée au moins de 12 ans d’ici 2018,
- L’engagement de souscrire à un prochain accord global sur le climat.
Le crépuscule de l’école de Chicago ?
La conviction de Milton Friedman, hérault de l’école de Chicago, comme quoi « la seule responsabilité d’une entreprise est d’augmenter ses profits » est de moins en moins la ligne de conduite des dirigeants, y compris aux Etats-unis.
La responsabilité sociale à la grand-papa a laissé la place à une version bien plus agressive et musclée d’un capitalisme qui carbure aux valeurs et aux engagements sociétaux dans l’espace laissé vacant par les Politiques. Comme l’explique Winnie Byanyima, directeur exécutif d’Oxfam International, « si des centaines des plus grandes entreprises du monde arrivent à se mettre d’accord pour soutenir des lignes de conduite ambitieuses, quel qu’elles soient, les leaders politiques devraient y prêter attention. »
S’il ne vous paraît pas évident en quoi se battre pour vendre des yaourts ou des crèmes glacées rejoint le combat contre la pauvreté dans le monde (par exemple), pensez à la puissance des impacts que ces entreprises. Elles peuvent réellement avoir un vrai pouvoir sur le terrain pour changer les habitudes des consommateurs.
Les 400 entreprises de biens de consommation pour le grand public les plus importantes qui commercialisent du monde (Procter & Gamble en tête, suivie par Unilever) ont un chiffre d’affaire cumulé de 2 500 milliards de dollars, emploient 10 milions de personnes directement et 90 millions tout au long de leurs « supply chains ». Quand ces entreprises décident de n’acheter que du bois certifié FSC, de commercialiser que du poisson MSC ou de l’huile de palme certifiée (ou pas du tout d’huile de palme), quand elles décident de lutter contre le gaspillage alimentaire, ou de s’équiper de LEDs, l’impact est potentiellement majeur et peut radicalement changer la donne sur le plan mondial.
C’est bien ce qu’exprime MIKE BARRY, le directeur du développement durable de Marks & Spencer : « M&S ne peut pas changer le monde de l’huile de palme à lui seul. Nous n’achetons qu’une petite partie de la production mondiale. Mais en se mettant en équipe avec les autres gros acteurs du marché via le Forum, on se dote d’un levier additionnel et on peut partager nos bonnes pratiques. Très simplement, nous sommes plus forts ensemble et nous pouvons agir plus vite pour aider à bâtir une approche de la production et de la consommation plus durable. »
L’impact crucial des multinationales
La puissance de ces sociétés correspond à la hauteur des enjeux, car selon le rapport Standing on the Sidelines d’Oxfam, d’ici 2050 il y aura 25 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition et 50 millions de personnes de plus souffrant de la faim. Sans compter que ces multinationales sont des consommateurs de premier plan pour tous les types de matériaux et ressources naturelles, renouvelables ou non.
Selon ce rapport, la supply chain de 10 sociétés agroalimentiares (dont Neslé PepsiCo et Unilever), émettent plus de gaz à effet de serre que la Finlande, La Suède, le Danemark et la Norvège réunis.
Des exemples d’engagements RSE de multinationales
La Harvard Business Review a récemment publié un article dans lequel sont décrit une des modalités de l’engagement des grands groupes, la valeur partagée (shared-value) à laquelle nous consacreront un article complet. En voici 8 exemples :
A cette nouvelle culture de l’engagement, s’ajoute un attrait indéniable pour le culte du héros, du sauveur. Paul Polman, le patron d’Unilever (photo), explique que ce qui conduit son entreprise ce sont plus les valeurs que le simple profit et qu’il a pris position contre la mentalité de surconsommation et la dictature des profits trimestriels imposée par la bourse.(2)
Il explique comment il voudrait qu’on se souvienne de lui. « Personne ne se souviendra que quand j’étais Pdg d’Unilever les profits ont grimpé de 20 % ou que le chiffre d’affaires a bondi de 40 %. Mais j’aimerais qu’on se souvienne que j’ai laissé la place (la planète) un peu plus propre que je ne l’ai trouvée« .
Il reste que la réalité du marché est dure à changer et qu’il est difficile pour ce type d’entreprise d’accepter des années de chiffres d’affaires stable ; la culture de la croissance est profonde. Dans les groupes cotés, la course à la rentabilité toujours plus forte touche à l’absurde.
La peur de ternir son image
Les motivations ne sont pas seulement positives comme le montre l’exemple de Starbucks en Grande-Bretagne. Le géant du café a proposé spontanément ( !) de payer 10 millions de £ d’impôt au Trésor britannique. Depuis plusieurs années, Starbucks ne payait pas d’impôt du tout. C’éttait, tout à fait légal mais du point de vue moral c’est autre chose : le citoyen britannique ne trouve plus cela normal. Et la direction de Starbucks a jugé que cette optimisation fiscale extrême est devenue incompatible avec les efforts qu’elle fait par ailleurs en termes d’écologie (emballages,…) et pourrait nuire gravement à son image. Nous reviendrons sur d’autres exemples de ce type.
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