Suite et bientôt fin de la série sur l’épuisement des ressources naturelle en se penchant aujourd’hui avec le phosphore. L’occasion de découvrir un élément dont on parle peu mais pourtant indispensable à la vie et notamment à l’agriculture. Le phosphore est abondant mais pas inépuisable.
Trop de phosphore est une menace pour l’environnement
C’est le paradoxe : le phosphore est indispensable à la vie et à l’agriculture mais en trop grandes quantités il peut être nuisible. En effet, le phosphore n’est pas toxique en soi, mais il cause l’eutrophisation des eaux de surface quand il est présent en trop grandes concentrations du fait des rejets industriels ou de l’excès d’engrais par l’agriculture qui est ensuite lessivé par l’érosion. «Le phosphore stimule la croissance d’algues et de végétaux aquatiques qui peuvent contenir des cyanobacteries, lesquelles sont toxiques», rappelle l’étude. Or, les cyanobactéries représentent un grave danger pour la santé publique.
Pollution des eaux
Les rejets de phosphore en excès par l’activité humaine cause donc une eutrophisation généralisée des eaux de surface. Pourtant la répartition de phosphore à l’échelle planétaire n’est pas homogène et les sols de bien des régions sont en déficit de phosphore (Australie, Afrique) et en ont besoin tandis que d’autres en sont saturées (certaines zones asiatiques, en Europe, Amérique du Nord). (2) Les chercheurs suggèrent de corriger «ce déséquilibre» et de «déplacer le phosphore des régions où il est abondant vers les régions déficientes, en l’extrayant du fumier par exemple».
- Selon une étude de 2009 (2) le coût de la pollution de l’eau douce par le phosphore aux États-Unis est de 1,6 milliard d’euros.
Tandis que l’érosion entraîne des pertes irrécupérables de phosphore dans l’océan, l’accumulation de phosphore dans les sols agricoles peut aussi expliquer la faible efficacité de son utilisation :
La mauvaise utilisation globale du phosphore
- En comparant la quantité de Phosphore « consommée » dans les aliments par la population mondiale avec la quantité annuelle de Phosphore utilisée comme engrais, on voit qu’environ seulement 20 % du Phosphore utilisés comme engrais se retrouvent dans les aliments consommés (3) : cela montre une faible efficacité.
- Les pertes se produisent tout au long de la chaîne qui va de la mine de phosphates naturels à l’assiette du consommateur : pertes minières, pertes par l’érosion des sols, pertes à tous les stades de la récolte. L’érosion représente sans doute la perte la plus importante.
- 22 millions de tonnes de phosphore finissent dans les océans chaque année, autant qu’il est impossible de récupérer (comparé à 8 Mt à l’époque préindustrielle).(4)
- D’autres estimations des pertes par l’érosion varient de 9 à plus de 22 Mt par an (5). À l’échelle mondiale, 17 à 20 Mt d’engrais phosphaté sont consommées annuellement, chiffres qui soulignent l’importance des quantités de P qui finissent au fond des océans, et qui sont actuellement impossibles à récupérer.
Recycler le phosphore
La société canadienne la société canadienne Ostara a mis au point une technique qui permet de récupérer le phosphore dans les eaux usées et polluées pour le transformer en un composé solide appelé struvite, pour ensuite convertir en engrais.
En France, 180 000 tonnes d’équivalent de phosphate bicalcique sont perdues chaque années ; on pourrait les récupérer avec des toilettes capables d’isoler l’urine des excréments solides. Les farines animales sont un autre gisement de phosphore : rien qu’en France, leur recyclage permettrait d’en récupérer 60 à 70 000 tonnes chaque année.
Conclusion : La pollution des eaux douces par l’eutrophisation pose un vrai défi aux pratiques agricoles industrielles qui utilisent le phosphore sans assez de discernement. Leur utilisation est si massive qu’aujourd’hui certains chercheurs pensent qu’en la matière nous avons franchi une « frontière planétaire », ou qu’autrement dit, nous avons dépassé la capacité d’absorption de la planète.
La solution à la question du phosphore, comme souvent, porte moins sur les quantités globales que sur leur bonne utilisation. Comment continuer à produire toujours plus de nourriture en préservant une eau de bonne qualité ? En veillant à conserver le phosphore dans les écosystèmes, en évitant que les fertilisants soient drainés vers les cours d’eau et les océans, en veillant à ce que le phosphore bénéficie bien aux sols, aux récoltes, au bétail, aux consommateurs grâce à une agriculture plus qualitative.
La science viendra peut-être donner un coup de pouce : c’est en tout cas l’espoir du projet européen NUE-Crops lancé en mai 2009 dont le but est de repérer des plantes cultivées qui valorisent plus efficacement le phosphore. A suivre donc …
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En savoir plus sur l’Epuisement des ressources naturelles
(1) Etude sur le phosphore, de février 2011 publiée dans la revue Environmental Research Letters par le professeur Stephen Carpenter de l’université du Wisconsin-Madison : //iopscience.iop.org/1748-9326/6/1/014009/pdf/1748-9326_6_1_014009.pdf
(2) in (Eutrophication of U.S. Freshwaters : Analysis of Potential Economic Damages, Dodds et al., 2009)
(3) MacDonald et al 2011
(4) Cordell, 2010
(5) Bennet et al. (2001)
(6) Smil, 2000 ; Rockström et al., 2009
(7) knowledge.cta.int/fr/Dossiers/Les-S-T-pour-les-defis-agricoles-de-demain/L-epuisement-du-phosphore/Articles/L-epuisement-du-phosphore-une-crise-invisible