Il est bien connu que la production de charbon de bois dans des pays comme Madagascar, la Zambie ou Haïti contribue de façon significative à la déforestation. Plus de 60 % des Haïtiens, par exemple, utilisent le charbon de bois pour leurs besoins quotidiens. En 1923 plus de 60 % de la surface de Haïti était couvert de forêts. Aujourd’hui c’est moins de 2 %.
Le charbon de bois et la déforestation ont bien un lien direct
C’est donc une situation « perdant-perdant » : les forêts disparaissent, les sols se détériorent, l’érosion emporte la terre cultivable, donc les pauvres paysans qui les exploitent s’appauvrissent encore un peu plus. Et pendant ce temps-là, le niveau de CO2 augmente doublement – par la perte de la couverture forestière et par la combustion du charbon – contribuant quotidiennement au réchauffement climatique. C’est désespérant. Mais attendez un peu avant de sombrer dans une dépression sévère : il y a de l’espoir ! Chaussez vos bottes d’explorateur car il faut remonter loin dans le temps et dans l’espace pour trouver un début de solution à cette catastrophe.
La terra preta : une très vieille histoire
Le charbon de bois se retrouve enfoui dans le sol, en Amazonie © Shutterstock
Ce mot, du portugais brésilien, veut dire littéralement « terre noire ». Il désigne une terre très fertile que l’on trouve dans le bassin amazonien, ce qui est en soi une anomalie, car la terre de la jungle est habituellement assez pauvre. La couleur noire de cette terre vient de son contenu très élevé en charbon de bois. Elle contient aussi toutes sortes d’autres matières organiques : arrêtes de poisson, restes de plantes, fumier, brisures de poterie, etc. Elle est très riche en minéraux – nitrogène, phosphore, calcium, zinc, manganèse – et est caractérisée par une vie microbienne intense. Elle peut atteindre deux mètres de profondeur dans certains endroits. Les archéologues qui ont étudié la question pensent qu’elle remonte à l’époque précolombienne (450-950 avant notre ère) et qu’elle doit son origine aux premiers habitants du bassin amazonien du Brésil.
La terra preta pourrait être le résultat indirect de l’habitat : on enterre ses restes, on fait des feux de bois par-dessus d’autres feux, on laisse des pots cassés par terre, et petit à petit tout ça retourne à la terre et l’enrichit. Mais la terre qui s’accumule autour des lieux d’habitation, qu’on appelle en fait terra mulata, est moins riche que la terra preta et les scientifiques pensent que les « Indiens », comme on les appelle, ont délibérément enfoui le charbon de bois dans le sol.
Natif sur une embarcation traditionnelle, sur l’Amazone © Shutterstock
Actuellement, la terra preta couvre 0.1 à 0.3 % du territoire amazonienne, selon certains estimations, c’est-à-dire d’environ 6 300 à 18 900 kilomètres carrés. Mais d’autres spécialistes avancent le chiffre de plus de 10 % du territoire, c’est-à-dire à peu près la superficie de la France. On a également trouvé de la terra preta en Ecuador, au Pérou, en Guyane, au Bénin, au Libéria et en Afrique du Sud.
Pourquoi le charbon de bois ?
La combustion du bois par des feux de cheminée ou des feux de cuisine, donc à une température relativement basse, produit un charbon qui permet un bon développement de vie microbienne une fois enfoui dans le sol, contrairement au charbon produit à de très hautes températures. La combustion lente produit des résidus pétrolés, qui sont consommés par les bactéries, et des groupes carboniques, qui facilitent l’échange de matières chimiques avec la terre. Par contre, le charbon de bois ne fonctionne bien comme adjuvent au sol que s’il est d’abord « chargé » en nutriments liquides : urine, thé ou infusions, etc. Il est aussi très intéressant par sa porosité, qui permet non seulement de mieux retenir l’eau dans le sol, ainsi que les éléments nourrissants et fertilisants, mais aussi de séquestrer les polluants. On a montré que la terro petra retient trois fois plus d’éléments organiques dans le sol que la terre ordinaire. Dans des sols acides, que l’on trouve dans de nombreux pays tropicaux, il permet d’augmenter de façon significative le pH. Et enfin, on a noté que la terra preta se régénère toute seule, à la vitesse d’environ un centimètre par an, ce qui permet, entre autres, de séquestrer plus de CO2.
Tout ceci n’a pas échappé aux biologistes et agronomes, comme les chercheurs de la American Chemical Society, qui pensent que la terra preta pourrait constituer un remède à l’échelle mondiale à l’appauvrissement des sols dans certaines régions, notamment des terres ruinées par la culture sur brûlis dans les pays cités au début de cet article.
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illustration : La terra preta passe par le charbon de bois © Shutterstock