Le continent africain veut enfin une carte fidèle à sa véritable taille
L’Union africaine lance une offensive symbolique : elle réclame que les cartes du monde cessent de réduire la place du continent africain. À travers sa campagne Correct The Map, l’organisation régionale entend mettre fin à des siècles de distorsions cartographiques qui, au-delà de la géographie, nourrissent des perceptions inégalitaires.

Longtemps relégué à une place secondaire par des choix cartographiques hérités de l’époque coloniale, le continent africain réclame désormais une représentation fidèle à son immensité réelle. Derrière ce combat géographique, l’Union africaine défend une bataille culturelle et politique : redonner au continent africain la visibilité et la centralité qu’il mérite dans les consciences collectives.
L’Union africaine et la bataille des cartes
Le 14 août 2025, l’Union africaine a officiellement soutenu une campagne visant à modifier la représentation du continent africain sur les cartes du monde. Selon l’organisation, la projection « Mercator », encore largement utilisée, déforme la réalité et minimise la véritable importance du continent africain. Avec plus d’un milliard d’habitants et une superficie environ quatorze fois supérieure à celle du Groenland, l’Afrique réclame une reconnaissance cartographique à sa mesure.
La démarche initiée par l’Union africaine s’inscrit dans un mouvement de rééquilibrage symbolique. « Cela peut sembler être une simple carte, mais en réalité, ce n’est pas le cas », affirme Selma Malika Haddadi, vice-présidente de la Commission de l’UA, citée par Reuters. Pour l’organisation panafricaine, il ne s’agit pas seulement de géographie mais de représentation du pouvoir. Le continent africain, deuxième du monde par sa superficie, y apparaît depuis des siècles comme réduit et périphérique, une image qui s’est ancrée dans les imaginaires collectifs.
Cette campagne s’appuie sur la projection Equal Earth, mise au point en 2018, qui restitue plus fidèlement la taille des continents. L’Union africaine, forte de ses 55 États membres, souhaite que cette projection devienne la norme dans les programmes scolaires africains, puis dans les institutions internationales. L’initiative est également soutenue par des ONG comme Africa No Filter et Speak Up Africa.
Pourquoi le continent africain est rétréci sur les cartes
La controverse repose principalement sur la projection « Mercator », conçue au XVIᵉ siècle pour faciliter la navigation maritime. Cet outil, encore largement utilisé dans l’éducation et les services numériques, agrandit artificiellement les régions proches des pôles — comme le Groenland ou l’Europe du Nord — et réduit les terres proches de l’équateur, en particulier le continent africain et l’Amérique du Sud. Ainsi, l’Afrique apparaît de taille similaire au Groenland, alors qu’elle est en réalité environ quatorze fois plus vaste.
Cette distorsion nourrit, selon l’Union africaine, une perception erronée et hiérarchisée du monde. Comme l’a souligné Moky Makura, directrice de Africa No Filter, « La taille actuelle de la carte de l’Afrique est erronée… Il s’agit de la plus longue campagne de désinformation et de mésinformation au monde, et elle doit tout simplement cesser ». La critique n’est pas nouvelle : de nombreux géographes rappellent depuis plusieurs décennies que la « Mercator » est une représentation utilitaire, inadaptée pour évaluer la réalité des superficies. Mais l’empreinte culturelle de cette projection demeure très forte, y compris dans les manuels scolaires.
Une revendication géopolitique et culturelle
Pour l’Union africaine, la correction de la carte dépasse la seule question scientifique. L’organisation affirme que cette démarche est cohérente avec son objectif de « réaffirmer la place légitime de l’Afrique sur la scène mondiale ». Cette revendication intervient alors que les appels à des réparations coloniales et à une meilleure représentation internationale de l’Afrique se multiplient. La taille du continent africain sur les cartes du monde est ainsi perçue comme un enjeu symbolique majeur de dignité et de reconnaissance.
De plus, d’autres institutions internationales soutiennent ce mouvement. La Commission de la CARICOM, qui regroupe les États des Caraïbes, a également pris position en faveur de la projection Equal Earth. Elle y voit un moyen de rompre avec « l’idéologie de pouvoir et de domination » incarnée par la carte « Mercator ». L’enjeu n’est donc pas seulement africain : il concerne tous les pays du Sud global qui souhaitent une représentation cartographique équitable.
Des conséquences éducatives et technologiques
Au-delà du débat politique, la campagne « Correct The Map » vise des changements très concrets. Selon Reuters, la « Mercator » reste aujourd’hui largement utilisée dans les écoles. Elle est aussi présente dans le numérique : Google Maps, par exemple, a remplacé en 2018 sa projection 2D par une vue en 3D sur ordinateur, mais la version mobile continue de présenter le monde en « Mercator ». Ce choix technique, devenu invisible pour les usagers, entretient la perception biaisée des proportions continentales.
C’est pourquoi la campagne s’adresse aussi bien aux autorités éducatives qu’aux grandes entreprises technologiques. L’Union africaine et ses partenaires prévoient d’intensifier le plaidoyer auprès de l’ONU. Une requête officielle a déjà été transmise à l’organe géospatial des Nations unies (UN-GGIM), qui doit l’examiner via un comité d’experts. Cette dimension institutionnelle marque une étape cruciale : il ne s’agit plus seulement d’une revendication militante, mais d’une demande inscrite dans les circuits officiels de gouvernance mondiale.
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