Alors que fait rage la polémique à Paris sur les pro- et anti-vélo autour du Plan vélo de la Mairie de Paris se pose la question de savoir si on peut contenter tout le monde sur la route. Et si les cyclistes ne représentent que quelques petits pour-cent des déplacements, peut-on légitimement empêcher une part importante de la population de rouler en voiture ?
Un chauffeur de taxi me disait récemment qu’il faudrait redonner de la place à tous sur la voie publique : voitures, piétons et cyclistes ! Attiré par cette idée enthousiasmante, espérant une solution géniale proposée par un professionnel des transports publics, conçue assurément après des heures passées derrière le volant à constater l’embolie urbaine, je lui demandais : « Comment ? » La réponse me laissa perplexe : « Il faut reconstruire les immeubles plus loin, pour faire des routes et des trottoirs plus larges« .
Car là est bien tout le problème des transports urbains : l’espace est limité. Certainement à Paris, l’une des capitales les plus densément peuplées du monde. Et partout où l’on n’envisage pas sérieusement de faire tomber les murs pour élargir les routes. C’est même l’inverse qui se produit : la place donnée à la voiture est de plus en plus réduite.
Le souci est que l’on ne fait certes pas d’omelette sans casser les oeufs, mais ce sont bien ceux des automobilistes – métaphoriquement, hommes et femmes inclus – que l’on semble briser menu par une politique qui affecte une grande proportion de citadins. En effet, la voiture représente (encore) une grande part des déplacements dans les villes françaises. Entre un bon tiers à Paris et quasiment les deux-tiers à Bordeaux, tandis que celle du vélo reste marginale (4,2 % à Paris selon l’INSEE en 2015).
Part de la voiture dans les déplacements dans les villes françaises de plus de 500.000 habitants en 2016 :(1)
- Paris : 36 % (14 % sur les résidents de Paris intra-muros)
- Marseille : 59 %
- Lyon : 51 %
- Lille : 56 %
- Nice : 56 %
- Toulouse : 59 %
- Bordeaux : 61 %
- Nantes : 54 %
La guerre entre vélos et voitures n’est pas obligée
Donc, premier terme de l’équation du report vers les modes de transport dits « doux » : du fait de la contrainte de l’espace, on ne peut pas, pour reprendre un concept en vogue, avoir « en même temps » plus de voitures et plus de cyclistes.
Deuxième terme : oui, si l’on veut moins de voitures, l’expérience en matière urbaine montre qu’il faut créer une contrainte pour que les automobilistes se tournent vers d’autres solutions de transport.
Mais l’équation ne peut-elle pour autant être résolue que par une guerre de pistes cyclables entre vélos et voitures, comme le suggère la couverture médiatique – souvent partiale – des récents travaux ?
Non, les analyses montrent que le souci principal n’est pas tant le nombre de véhicules que leur faible remplissage. En effet, si les voitures particulières ne représentent qu’environ 14 % des déplacements à Paris intra-muros, elles occupent 50 % de l’espace public. La première solution pour résoudre cette équation est d’encourager activement l’auto-partage.
Si on s’en donne les moyens, 3.000 voitures autonomes pour tous les déplacements de New York
La deuxième solution nous viendra dans les toutes prochaines années. Levons le nez du guidon quelques instants, pour regarder au-delà des prochaines semaines de désagrément de mise en place du Plan vélo parisien, et considérons comment la mobilité évoluera dans les 5, 10 à 20 prochaines années : c’est en effet l’autonomie des véhicules qui pourrait bouleverser la donne et repousser ces fameux murs que notre chauffeur de taxi voulait abattre.
Sébastien Deletaille, patron de Real Impact Analytics, une société spécialisée dans l’utilisation du « big data », révélait ainsi aux débats de Trans-mutation vendredi 1er septembre qu’il suffirait en théorie de 3.000 voitures autonomes pour satisfaire tous les besoins de déplacement de la population de la ville de New York, « et ce changement mettrait à peine trois minutes à se réaliser » si, par magie, on pouvait installer ces véhicules sur la route d’un coup.
En effet, alors qu’une voiture ordinaire reste immobilisée environ 95 % du temps, les flottes de véhicules autonomes pourront être utilisées de manière optimale en permanence et le trafic fluidifié.
Piste cyclable vs voitures © EvgeniiAnd
Or, pour Guillaume Crunelle, associé responsable Industrie automobile chez Deloitte, « c’est une certitude, la mobilité urbaine du futur sera connectée, autonome, partagée, électrique », affirmait-il le 7 septembre en ouverture du salon Autonomy. Toutefois, il faudra que les autorités publiques, souligne-t-il, se saisissent de cette question pour que cette magie potentielle des véhicules autonomes permette effectivement de diminuer la congestion plutôt qu’y ajouter.
Là aussi il faudra encourager l’auto-partage, ainsi que des applications permettant de regrouper tous les frais de transport en une facture et un mode de paiement, quelle que soit la solution de déplacement. L’automobiliste est une espèce en voie de disparition. Accompagnons cette disparition avec intelligence.
Illustration bannière : Plan vélo Londres © Lenscap Photography