Malgré le désastre du Costa Concordia devant l’île de Giglio, les croisières qu’elles soient de luxe ou non, ont de plus en plus la cote et des centaines de paquebots transportent chaque année 20 millions de passagers dans le monde. Selon Isemar (Institut Supérieur d’Économie Maritime), 300 navires de croisière sillonnaient les mers du globe en 2017, et ce chiffre continue de grimper puisqu’un total de 65 paquebots de plus de 2.000 passagers – et toujours plus grands, certains pouvant embarqués plus de 7.000 personnes à bord, figurent dans les carnets de commandes des chantiers navals pour des livraisons d’ici à 2027. Mais la pollution que génèrent ces gigantesques paquebots de la taille d’une ville est des plus impressionnantes…
L’impact des croisières sur la planète
Très mal notés sur les registres des défenseurs de l’environnement, les bateaux de croisières logent en moyenne 5.000 passagers et membres d’équipage. Avec des milliers de cabines, des piscines, des casinos, des salles de spectacles, des boîtes de nuit et des restaurants, ils constituent de véritables cités flottantes, qui polluent l’air qu’on respire, et dont la majeure partie des déchets, même si certains sont traités, est rejetée directement dans l’océan.
Un fioul lourd des plus polluants
En 2018, pas moins de 7,17 millions de passagers européens ont effectué une croisière en mer, soit une progression de 3,3 % sur un an. Mais un simple chiffre pose le problème : en Europe, 94 paquebots émettent dix fois plus de dioxyde de soufre que 260 millions de voitures. C’est ce qu’a prouvé récemment une étude publiée par l’organisation non gouvernementale Transport & Environement. Quant au deuxième croisiériste le plus important du monde, Royal Carribean, il en rejette quatre fois plus !
En cause, la mauvaise qualité du carburant consommé par les navires de croisière : une pâte noire issue d’un carburant non raffiné… En gros des déchets de raffineries, plus toxiques et plus chargés en soufre, mais qui coûtent moins cher.
En 2015, déjà, une étude de l’université de Rostock estimait que les gaz d’échappement de tout le transport maritime étaient responsables de 60.000 morts prématurées par an en Europe. Alors que les croisières ont la cote, cela ne peut qu’empirer, sachant que les teneurs en soufre admises dans le fioul lourd alimentant leurs diesels sont jusqu’à 1.500 fois plus élevées que celles autorisées pour le diesel des voitures (1,5 % contre 0,001 %).
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Des dégradations diverses
Certes, les croisières de loisirs permettent la création de revenus et un certain apport économique à la région, mais outre l’occupation d’espaces réservés aux populations locales, les croisières sont aussi synonymes de :
- pollution du fond des mers, des ports et des régions côtières
- dégradation de sources d’eau
- destruction de l’habitat offert par les récifs de corail (ancrage des navires et des petits bateaux)
- émissions de polluants dans l’air et dans l’eau
- pression exercée sur les sites terrestres de traitement des déchets
- grandes quantités de déchets pouvant entraîner de graves risques sanitaires et des coûts de nettoyage
Un paquebot de 3.000 personnes, c’est :
- 790,000 litres d’eaux sanitaires,
- 1.3800.000 litres d’eaux grises (résultant des éviers, lavabos, douches et lessives),
- 8 tonnes de déchets solides,
- 795.000 litres d’eau de cale et de lest
- 490 litres de déchets dangereux
- 3,5 kilogrammes de déchets par voyageur et par jour(1).
Des lois peu sévères
Tri des ordures, recyclage, traitement des eaux usées… La gestion d’évacuation des déchets, comme l’élimination des eaux perdues seulement est parfois imposée et le plus souvent incorrectement réglée. Les pratiques environnementales internationales sont minimales dans l’industrie…
Sur les bateaux de croisières, les déchets en papier, verre, aluminium et plastique sont généralement compactés ou/et stockés jusqu’au prochain port d’escale doté d’infrastructures de recyclage. Les déchets organiques des cuisines sont réduits en purée puis largués en mer à distance règlementaire des côtes.
Quant aux eaux usées, elles sont évacuées en mer (en toute conformité avec les lois en vigueur) après traitement par des systèmes d’épuration sophistiqués.
La Royal Caribbean Cruise, deuxième opérateur mondial de croisières touristiques après Carnival, a été condamnée plusieurs fois pour déversement illégal de pétrole et produits chimiques en mer.
Des croisières plus écolo pour bientôt ?
La plupart des compagnies de croisière embarquent à présent un agent environnemental parmi les membres d’équipage. Cette personne est chargée de veiller à l’application des politiques pro-environnementales à bord, et au respect des lois et des réglementations en vigueur tant dans le pays où le navire est enregistré, que dans ceux où il transite.
Des navires, et des quais, plus propres
Toujours selon l’étude réalisée par Transport & Environment, à Marseille, huitième ville la plus impactée du vieux continent, les 57 bateaux de croisière y ayant fait escale en 2017 ont en fait émis quatre fois plus de dioxyde de soufre que tous les véhicules circulant en ville.
Tout le monde ne pouvant pas traverser l’Atlantique à la voile, à quand des ports, et des navires à zéro émission ? Transport & Environment appelle déjà l’Union européenne à étendre à toute l’Europe la zone d’émission contrôlée de soufre (SECA), obligeant les navires à utiliser un carburant dont la teneur en soufre n’excède pas 0,1 %. Pour l’instant, elle ne concerne pas les ports du bassin méditerranéen.
Les principaux croisiéristes font de gros investissements pour des équipements destinés à améliorer les performances énergétiques et à réduire la pollution de l’air des bateaux de croisière. Deux navires de croisière innovants, l’Aida Nova (depuis décembre 2018) et le Costa Smeralda (prévu pour fin 2019) fonctionnent dorénavant au gaz naturel liquéfié.
De nouvelles technologies permettent aussi de réduire l’impact des bateaux de croisière en épurant les gaz avant leur échappement.
STX (ex-Chantiers de l’Atlantique) a présenté un projet de paquebot écologique, le Eoseas. Il devait consommer 50 % de carburant en moins, grâce à l’utilisation des énergies du vent et du soleil, et à des moteurs révolutionnaires. Prévu pour 2014, ce paquebot capable d’embarquer 3.400 passagers et auto-suffisant en électricité pour l’éclairage n’a jamais vu le jour…
En mars 2018, STX remet le couvert en présentant son projet de paquebot Silenseas pour « une autre expérience de la croisière plus éco-responsable ». Beaucoup plus modeste que le Eosas (190 mètres et 150 cabines passagers), il veut attirer « un nouveau type de croisiéristes aventuriers et soucieux de l’environnement »(2).
Autre dossier à faire avancer : l’électrification des quais
Selon l’association France Nature Environnement, un paquebot à l’arrêt polluait autant qu’un million de voitures, en termes d’émission de particules fines et de dioxyde d’azote.
En effet, même en escale, les navires de croisière ne stoppent jamais leurs énormes moteurs. La plupart ont pourtant la capacité d’être branchés à quai. Encore faudrait-il que les ports acceptent de réaliser des investissements aussi lourds pour leurs ports et terminaux !
Les géants des mers détruisent la lagune de Venise © kovop58
Un modèle de tourisme dévastateur – Un autre problème titanesque !
Les ports d’escale subissent le tourisme de masse, envahis par des vagues successives de milliers de touristes visitant les localités en quelques heures sous l’oeil d’organisateurs de tours guidés… Les artisans et commerçants sont peu à peu remplacés par des boutiques de souvenirs Made in China et des enseignes internationales de cafés, bars et restaurants ; les loyers flambent ; le tissu local se liquéfie.
Ravi de voir toute une partie du monde en quelques jours ou d’en faire le tour en plusieurs semaines sans trop perdre ses repères, le croisiériste ne porte pas vraiment son attention sur les lieux qu’il traverse, ni sur les océans qu’il sillonne… Non en croisière, on ne s’amuse pas, on abuse !
Article mis à jour et republié
Illustration bannière : Un paquebot à Venise – © atm2003