La malédiction des matières premières
L’« or gris » ne profite donc guère à la RDC, déjà accablée par la malédiction des matières premières (3) en ce qui concerne l’or et le diamant comme le confirme le Groupe d’experts de l’ONU. D’ailleurs, on constate que le Rwanda voisin exporte 13 % du coltan sur le marché mondial (4) alors qu’il ne dispose pas de réserves de coltan : toutes les ventes rwandaises se font grâce à des ressources pillées en RDC. Au Congo même, l’exploitation des « diamants de sang de l’ère digitale » profite le plus souvent aux groupes armés, soit qu’ils fassent exploiter les gisements, soit qu’ils y touchent au passage une commission. Les mines sont le plus souvent organisées en concessions accordées par le propriétaire du terrain à des « prospecteurs-creuseurs », qui sont d’anciens villageois ou paysans (5).
Ces creuseurs ont un travail à double tranchant : ils peuvent toucher jusqu’à 75 dollars par semaine (6) en revendant leur production à des grossistes, soit l’équivalent de 6 mois de travail pour un cultivateur local. Ce salaire est d’autant plus mirobolant que les agriculteurs ont depuis une vingtaine d’année la quasi-certitude que leurs récoltes seront confisquées par des milices en quête de ravitaillement (7). Mais les conditions de sécurité des mineurs sont plus qu’incertaines et les effets à long terme sur la santé des poussières de coltan, légèrement radioactif, restent inconnus. Les grossistes, de leur côté risquent d’être volés et tués par les milices auxquelles ils vendent leur minerai.
Le développement de cette économie principalement souterraine a été rendu possible par la corruption des politiques et par l’importance opérationnelle des milices, mais aussi par la complicité d’un certain nombre d’entreprises occidentales peu scrupuleuses. Les entreprises américaines (Motorola, AVX puis Nokia) font pour une fois figure d’exemple grâce à la loi Dodd-Frank, qui les oblige à certifier l’origine du coltan qu’elles utilisent.
Mine de coltan au Congo - image aboutenvironment.com
Mais les compagnies qui ne sont pas soumises à cette loi font peu de cas de l’éthique et utilisent du coltan congolais par l’intermédiaire de leurs sous-traitants chinois (encore eux !). Cette situation, déjà dénoncée en 2001 par des ONG avec le slogan « pas de sang sur mon portable » n’a pas manqué d’indigner le célèbre groupe hacktivisteAnonymous en mai dernier : il s’est attaqué aux sites webs des groupes HC Stark (filiale de Bayer), Samsung, LG et Sony (8). Anonymous affirmait à cette occasion que chaque kilo de coltan extrait a coûté la vie à deux enfants – assertion peu vérifiable mais qui a le mérite de mettre en lumière les conditions de travail choquantes dans certaines mines où des enfants extraient à main nue le minerai radioactif .
Ainsi, le coltan et un (gros) coin d’Afrique sont les otages des stratégies de puissance aux intérêt divergents de multinationales avides, de pays à la réalpolitik sans scrupule. Comme le souligne une note de l’Ecole de guerre économique (9), l’irruption brutale de la Chine auCongo menace les intérêts stratégiques européens et américains, eux mêmes divergents. La course pour les mines de l’or gris n’est sans doute pas finie ; ça va saigner !
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(1) Moryoud, Céline, & Katounga, 2002 – Attention à ne pas confondre « réserves disponibles » avec les « ressources disponibles » : les premières sont connues et faciles d’accès dans les conditions technologiques actuelles ; les secondes sont estimées et leur extraction n’est pas toujours rentable avec les technologies actuelles. Les études concernant les 80 % sont contradictoires et il est parfois question de 65 % partagés entre les 2 Congo.
(2) À tel point que la période 1998 – 2003 est parfois surnommée « première guerre mondiale africaine ». 3 à 5 millions de personnes y auraient perdu la vie.
(3) La malédiction des matières premières provoque : (A) une économie centrée sur le seul secteur extractif et peu compétitive, (B) augmente le risque de guerre civile, et (C) modifie le mode de gouvernance d’un pays en faveur de quelques minorités et au détriment des citoyens (Rosser, 2006)
(4) Martineau & GRAMA, 2003
(5) Mantz, 2008
(6) D’autres sources parlent de 10 à 50 US$ par semaine.
(7) L’ONU dénonce un « pillage systématique »,voir (Groupe d’experts de l’ONU, p. 8)
(8) Voir le communiqué //operationgreenrights.blogspot.fr/2012/05/opcoltan.html#more
(9) http://www.infoguerre.fr/documents/guerre_coltan_RDC.pdf
Bibliographie
- Groupe d’experts de l’ONU. (s.d.). Rapport sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC. Mantz, J. (2008). Improvisational Economies : coltan production in eastern Congo.
- Anthropologie sociale, pp. 34-50.Martineau, P., & GRAMA. (2003). La route commerciale du coltan congolais : une enquête. Récupéré sur Université du Québec à Montréal : unites.uqam.ca/grama/pdf/Martineau_coltan.pdfMoryoud, Céline, & Katounga. (2002). Coltan exploitation in the eastern Democratic Republic of Congo. Dans J. Kind, & K. Sturman, Scarcity and surfeit : the ecology of Africa’s conflicts. Pretoria : Institute for security studies.Rosser, A. (2006). The political economy of the ressource curse : A literature survey. (I. o. Studies, Éd.) IDS Working Paper.
- Reilly, Erin. 2010, ‘The Global Impact of Coltan Mining for Cell Phones, Electronics and Games’, Green Home Authority : //greenhomeauthority.com/the-global-impact-of-coltan-mining-for-cell-phones-electronics-and-games/ [mars 2011]
- Sonnenberg, Bianca. 2005, Mining : Environmental and Societal Impacts the Democratic Republic of the Congo, World Ecosystems Beyond Borders, : //global.wisc.edu/outreach/k-12/webb/units/mining.htm/[2011,]