La pollution sonore marine, longtemps reléguée aux marges des priorités environnementales, s’est imposée au coeur des débats internationaux. Lors de la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3) organisée à Nice les 9-13 juin 2025, 37 États, dont la France, ont officialisé leur ralliement à une coalition ambitieuse visant à faire taire, enfin, le vacarme sous-marin.
Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme depuis plus de vingt ans : les sons produits par l’activité humaine en mer bouleversent en profondeur les équilibres biologiques. À Nice, pour la première fois, un front international se forme pour affronter ce fléau encore largement ignoré des politiques publiques.
Pollution sonore : quand le silence devient vital pour les océans
C’est une cacophonie permanente. Les océans, jadis royaume des chants de baleines, sont aujourd’hui saturés par les rugissements des moteurs, les détonations sismiques et les ultrasons militaires. La pollution sonore est devenue, comme le résume le Fonds international pour le bien-être animal (IFAW), un « problème invisible mais omniprésent ». Le bruit engendré par le transport maritime, les prospections pétrolières, les chantiers offshore et les sonars militaires atteint des niveaux extrêmes, jusqu’à 230 décibels, selon l’Oceans Research Institute. À titre de comparaison, un avion au décollage en produit environ 140. Les conséquences sont dévastatrices : désorientation, stress chronique, troubles de la reproduction, voire mort subite chez certaines espèces. Un exemple frappant : en 2020, 450 globicéphales se sont échoués en Tasmanie, probablement en raison d’un dérèglement acoustique majeur. À Nice, Carlos Bravo, expert de l’organisation OceanCare, a résumé l’urgence : « L’océan est un monde acoustique où le son est synonyme de survie ».
Sur le papier, l’initiative paraît audacieuse. Les signataires de la « High Ambition Coalition for a Quiet Ocean », tels que le Canada, le Panama ou la France, souhaitent agir via l’Organisation maritime internationale (OMI) pour imposer des critères de réduction sonore aux navires, intégrer le bruit aux aires marines protégées et renforcer la surveillance acoustique passive. Mais dans les faits ? Les recommandations actuelles de l’OMI restent purement volontaires. Selon le Natural Resources Defense Council (NRDC), « les technologies de réduction existent — modification des hélices, réduction de vitesse, cavitation maîtrisée — mais leur adoption est dérisoire en l’absence de régulation contraignante ». Dans l’Union européenne, la Directive-cadre Stratégie pour le Milieu Marin (MSFD) impose depuis 2008 l’intégration du bruit comme indicateur environnemental. Pourtant, peu d’États ont véritablement appliqué cette mesure, et le traité sur la haute mer, ratifié par 49 pays, peine encore à franchir le seuil des 60 nécessaires pour entrer en vigueur.
Sous la surface : le traumatisme sonore chez les espèces marines
Le bruit sous-marin perturbe en effet gravement les animaux. Les bélugas peuvent percevoir un brise-glace à 85 kilomètres. Les baleines bleues interrompent leur alimentation au moindre sonar. Les dauphins réduisent et simplifient leurs signaux, compromettant leur socialisation. À Auckland, lors des confinements liés au Covid-19, les scientifiques ont observé que les dauphins avaient gagné 500 mètres de portée vocale dans un environnement temporairement plus silencieux. Les effets sont aussi économiques : baisse des stocks de pêche, mortalité accrue, déplacement d’espèces commerciales. Comme le souligne un rapport de l’IFAW, « réduire de 10 % la vitesse d’un navire, c’est réduire de 40 % le bruit, 50 % des collisions et 13 % d’émissions de gaz à effet de serre ».
Les solutions existent. Et elles sont souvent technologiques, peu coûteuses et immédiatement applicables : rideaux de bulles, nouveaux designs d’hélice, algorithmes de prédiction sonar, ralentissement du trafic. Le port de Vancouver, par exemple, offre déjà des incitations financières aux armateurs qui réduisent volontairement le bruit de leurs navires. Mais à Nice, derrière les discours et les photos de groupe, aucun engagement juridiquement contraignant n’a été signé. Le monde marin attend plus qu’un communiqué : il attend un changement d’intensité, pas seulement de ton.
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