Sélection livre – Déchets Land – Anne Belot

Que deviennent nos déchets une fois jetés ? Et si on les trie, sont-ils forcément recyclés ? Pour le savoir, lisez ‘Déchets Land, la face cachée de nos déchets’ : une BD documentée et drôle qui dévoile l’envers du décor de notre société !

Rédigé par Brigitte Valotto, le 9 Apr 2021, à 8 h 00 min
Sélection livre – Déchets Land – Anne Belot
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Grâce aux talents de dessinatrice mais aussi d’enquêtrice d’Anne Belot, qui publie avec cette BD originale son premier livre, on découvre à travers des petites cases colorées et rigolotes… des histoires qui ne sentent pas très bon ! Interview de l’auteur autour de son ouvrage, Déchets Land- la face cachée de nos déchets. Et les solutions pour changer le monde, qui vient de paraître aux éditions Thierry Souccar.

Déchets Land – Les déchets font des bulles…

Savez-vous où va un pot de yaourt lorsqu’il est jeté dans la poubelle de tri ? Savez-vous que « traitement des déchets » signifie en pratique : tassement puis enfouissement ? Savez-vous que le recyclage d’une bouteille en verre émet jusqu’à 80 % de gaz à effet de serre de plus que si elle est consignée ? Ou que les déchets non consumés par les incinérateurs représentent plus de 3,5 millions de tonnes par an… dont les deux tiers finissent dans des décharges pour produits dangereux et polluent les nappes phréatiques ?

Anne Belot, qui publie ses planches tous les mois dans le magazine Agir à Lyon, nous dit tout cela et plus encore… en bulles et en dessins !

dechets land

Anne Belot, auteure de Déchets Land

Nous lui avons posé quelques questions autour de cet ouvrage original, mine d’infos sur la question des déchets, qui réussit à allier l’humour et l’encyclopédisme pour mieux nous convaincre de changer nos façons de jeter.

consoGlobe – Vous avez une formation d’ingénieur agronome, et sitôt vos études achevées, vous avez créé votre entreprise de conseil pour aider les industries agro-alimentaires à réduire leurs déchets à la source. D’où vient cet engagement précoce ?

Anne Belot – Pas si précoce : en réalité ma prise de conscience a eu lieu petit à petit ! À 18 ans, je voulais être architecte. Mais je n’ai pas été reçue aux concours, et comme j’adorais les plantes et les sciences, je me suis dirigée vers la bio, puis l’agronomie.
Dans le milieu où j’ai grandi, on ne parlait pas vraiment d’environnement – voire pas du tout. J’ai commencé à m’y intéresser en discutant avec les autres étudiants de mon école, qui venaient de milieux souvent plus engagés que le mien. Mais le plus grand tournant, c’est quand j’ai travaillé dans la biologie marine en Australie : alors, j’ai pu constater de mes propres yeux l’impact du réchauffement climatique. J’ai réalisé que je ne voulais pas continuer à fermer les yeux et travailler dans une activité qui détruit notre planète.

J’ai décidé de changer les choses grâce à mon travail, de donner mon énergie à quelque chose d’utile !

consoGlobe – Pour parler de ce sujet grave, vous avez emprunté le chemin ludique de la bande dessinée… Pourquoi ?

Je suis fan de BD depuis toujours ! À la maison, on n’avait pas de télé, on regardait peu de films, mais mes parents collectionnaient les albums et j’ai vraiment passé beaucoup de temps à en lire… puis à en inventer moi-même et à esquisser des personnages de BD partout, sur les murs, les portes, les armoires…
J’avais dessiné un Spirou géant sur la porte de ma chambre ! Plus tard, j’ai continué… sur mon blog ! ( annebelot.fr. )

Je me suis donc tournée tout naturellement vers ce support quand j’ai voulu partager le résultat de mes enquêtes sur les déchets. Cette forme littéraire permet à un sujet austère, pour ne pas dire déprimant, de se faire léger, accessible et drôle, grâce à l’humour des personnages dessinés… Ainsi, chacun peut se l’approprier plus facilement !

consoGlobe – Vous évoquez la « vie secrète » de nos déchets : qu’est-ce qu’on nous cache ?

Pas mal de choses ! Le plus gros mensonge, c’est sans doute le mirage du recyclage : tout le monde s’appuie sur cette croyance, alors que ce devrait être la dernière étape à laquelle penser. Par exemple, récemment, j’ai vu un client refuser un sac à la caisse d’un supermarché : mais quand la caissière lui a dit que le sac était recyclable, il l’a pris en toute bonne conscience !

Or, pour être recyclé, ce sac devra d’abord aller jusqu’à la poubelle jaune, puis au centre de tri et à l’usine de recyclage sans être perdu… et en réalité, il ne sera peut-être même pas recyclé, comme la moitié de tout ce qu’on trie : je consacre tout un chapitre de la BD à expliquer les enjeux et le leurre du recyclage.
Tel qu’il est géré actuellement, il fait vraiment du mal à notre société. Mais ce n’est pas le seul : les déchets de l’énergie, les déchets qui passent à l’incinérateur et terminent quand même en décharge… il y en a, des « secrets » !

D’autant que les déchets sont lucratifs, et entretiennent l’organisation actuelle de la consommation. D’où l’importance de les réduire. Ce n’est pas une lubie, mais un sujet essentiel sur lequel les collectivités et les citoyens ont du pouvoir !

Déchets Land – La face cachée de nos déchets

Lire aussi : La durée de vie des déchets dans la nature

consoGlobe – Mais peut-on vraiment s’en passer ? Le « zéro déchet », au niveau collectif, n’est-il pas utopique ?

Si toutes les collectivités, les citoyens et tous les acteurs du territoire s’investissaient dans un vaste scénario de réduction des déchets à la source, oui, ce serait possible : Zero Waste France a prouvé qu’on pourrait, à ces conditions, se passer de décharges et d’incinérateurs.

Pour cela, il faut mettre en place des mesures adaptées au territoire pour consigner et réutiliser, pour favoriser les solutions de compostage et financer toutes les initiatives de réemploi, et plus généralement, celles qui oeuvrent à une transition écologique.
Il faudra toujours un peu recycler, mais uniquement les déchets « irréductibles » ! Alors qu’aujourd’hui, on se démène à essayer de recycler des objets inutiles ou à usage unique qui ne devraient même pas exister.

consoGlobe – Et à l’échelle personnelle ?

Inutile de se rendre fou à essayer de ne plus rien jeter du tout : ce qu’il faut, c’est essayer de tendre vers le zéro déchet, tout en ayant conscience que les changements d’habitude prennent du temps. Mais il faut aussi se rendre compte de tout le superflu qui nous entoure et nous encombre : comme je le montre dans le livre, certains gestes sont très accessibles !

consoGlobe – La France est-elle une bonne élève de la réduction des déchets, au niveau européen et mondial ?

Je dirais plutôt non : nos filières REP (Responsabilité Elargie des Producteurs, ndlr), dont la mission est d’oeuvrer à la réduction des déchets, sont gérées par les industriels qui vendent des objets à usage unique et donc ont intérêt à valoriser le recyclage, plutôt que la réduction des déchets !

Et puis, on fait partie de ces pays exportateurs de déchets « triés-recyclables » vers des pays pauvres. Les mesures à l’échelle du pays sont clairement insuffisantes, ceci dit, la mesure du « bon élève » se joue surtout au niveau local : à l’échelle du pays, les changements prennent beaucoup plus de temps et sont davantage dépendants de lobbys hyper puissants.
Mais de plus en plus d’entrepreneurs adaptent des solutions à leurs territoires, et ce sont ces petites actions, mises bout à bout, qui pourront changer les choses. Il s’agit de les encourager, pas forcément de les généraliser : car c’est justement leur spécificité locale, parfaitement adaptée à leur territoire, qui les rend si efficaces !

déchets land

Le meilleur déchet est celui qu »on ne produit pas © Roman Mikhailiuk

Les collectivités ont beaucoup de pouvoir sur cette question. C’est un vrai changement de modèle de société qui est en jeu, avec des systèmes beaucoup plus locaux et résilients à construire : il faudrait mieux soutenir et financer les initiatives locales, organiser toute la chaîne de réemploi, et la logistique de réseaux sans déchets, mettre en place des bonus-malus plus cohérent et incitatifs pour les industriels, revoir la gestion des éco-organismes…

consoGlobe – En France et à l’étranger, quelles sont selon vous les pistes les plus prometteuses, les exemples les plus inspirants ?

Il y en a beaucoup, et toujours à l’échelle locale. Les meilleures initiatives sont celles adaptées aux différents territoires, et j’insiste beaucoup sur ce point car c’est là que se jouent les vrais changements.
Les déchets sont un problème global, avec des solutions locales ! Et souvent géniales : par exemple, j’ai vu à Bordeaux une initiative de collecte des urines et matières fécales en vélo-cargo ! Le logement n’a pas eu besoin d’être modifié, la solution est arrivée au pas de la porte !

À Lyon, même chose pour le compost : une association récupère les biodéchets à vélo pour aller les composter plus loin, et redistribuer ce compost aux agriculteurs du coin ! Sans parler des systèmes de consigne qui émergent, des solutions de vente en vrac grâce à des producteurs et commerçants engagés…

À l’étranger, on peut citer la ville de Capannori, en Italie, qui fait référence sur la possibilité d’arriver à réduire quasi complétement les ordures ! Les systèmes de consigne sont souvent plus développés dans les pays du nord, avec des habitudes ancrées pour les habitants : j’ai vécu en Belgique, où jeter à la poubelle une bouteille de bière terminée semble aussi absurde que de jeter ses habits après les avoir porté une journée ! Ce qui est inspirant, c’est surtout de voir que c’est si simple, au final !

consoGlobe – Consommer moins, est-ce que ça peut suffire à générer moins de déchets… quand on voit le nombre de masques, actuellement, qui jonchent nos trottoirs, la priorité n’est-elle pas à l’éducation ?

C’est une bonne question, mais je crois que ça doit se faire de pair ! Effectivement, on a trop souvent perdu le lien à la nature, dans nos sociétés. Il faut amener les enfants passer du temps en forêt, contempler des grenouilles ou des oiseaux… Non seulement parce qu’ils ont besoin de la nature pour rester en bonne santé et développer les capacités de leur cerveau, mais aussi, pour leur donner conscience qu’on fait partie d’un tout !

En restant reliés à notre environnement, on change notre rapport à la consommation. Et en retour, réduire notre consommation renforce notre reconnexion à l’environnement : c’est un cercle vertueux.

Par exemple, en s’intéressant à la composition de ce qu’on mange, de ce qu’on achète, en faisant nous-mêmes notre cuisine ou nos produits ménagers, on retisse un lien avec l’origine des choses, des matières premières, avec les humains qui ont contribué à concevoir ce qu’on achète, aux conditions dans lesquelles ils l’ont fait… Je pense que tout ce qui est entrepris – intelligemment – pour sensibiliser à l’environnement est utile : ce sont comme des petites graines que l’on sème dans l’esprit des gens !

coup de coeur

Déchets land – La face cachée de nos déchets
de Anne Belot

Une enquête pleine d’humour sur le destin de nos déchets : ceux qu’on stocke, qu’on brûle, les sauvages, les délocalisés… ou encore les « recyclables » qui finissent en fumée dans l’incinérateur !

À découvrir sur Cultura.com

 

Illustration bannière : La saga des déchets en BD – © Anne Belot
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Journaliste free-lance, Brigitte Valotto est notamment une collaboratrice régulière des pages enfants, société, pratique, tourisme et actu de...

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