Contrairement à ce qu’on a pu entendre, l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes n’est pas un déni de démocratie. Il serait imprécis de l’imputer à une une poignée de ZADistes tournant le dos à un référendum local. C’était au contraire la seule vraie décision démocratique.
Au premier abord, la décision du gouvernement français de renoncer à la construction d’un nouvel aéroport sur les terres de la commune de Notre-Dame-des-Landes ressemble à un déni des règles démocratiques. C’est la critique dans laquelle s’est engouffrée une partie de la classe politique. C’est aussi le prisme par lequel les médias ont commenté le choix du gouvernement, montrant des images des seuls ZADistes se réjouissant au lendemain de l’annonce.
On a en effet essentiellement retenu trois éléments contestables de cette décision : les ZADistes sont les opposants les plus visibles au projet. Ce serait donc à eux qu’on aurait « cédé ». Un référendum local avait donné une (courte) majorité aux opposants. Ce serait donc un déni de la parole citoyenne. Des arrêtés de justice ont tous souligné la légalité des actes pris dans le sens de la construction. Ce serait donc un déni de justice. Ces trois points sont contestables… point par point.
Notre-Dame-des-Landes : le gouvernement a bien fait de lever le nez de la piste
Au-delà du fait qu’aucune décision n’aurait satisfait l’ensemble des acteurs, sur un sujet qui divise de longue date, on notera sur le premier point tout d’abord une évidence : les ZADistes ne parlaient pas qu’en leur nom propre, mais symbolisaient la virulence de l’opposition d’une grande partie de l’opinion. L’opposition d’au moins 45 % des citoyens de Loire-Atlantique, et probablement d’une majorité des citoyens français. À noter d’ailleurs que les premières réactions vont dans ce sens, puisque 78 % des citoyens français approuveraient la décision du gouvernement selon une première estimation.
L’opposition à Notre-Dame-des-Landes, ce ne sont pas que les personnes présentes sur place
Les grands projets d’infrastructure, resitués dans le contexte du défi climatique et des choix de société, affectent certes au premier chef les populations locales par leurs impacts (positifs et négatifs) directs, mais concernent l’ensemble de la population française par leurs implications. Le débat était d’ailleurs loin d’être limité à la Loire-Atlantique, en témoigne l’importance de l’écho qui lui a été accordé. On avait, par commodité, limité le référendum aux habitants de Loire-Atlantique, mais il ne s’agissait tout de même pas de débattre de la construction du rond-point à la sortie de ladite commune !
Le gouvernement a donc fait plus qu’écouter les plus mobilisés des opposants, il a entendu que l’ère des grands projets symbolisant une forme de fuite en avant, du toujours plus d’artificialisation des terres, de la mobilité à bas coût et à tout prix, de la destruction des zones d’importance écologique était révolue pour une grande partie de la population. Ceux qui se raccrochent encore à une vision productiviste inspirée de l’époque où le projet a été conçu, à la sortie des 30 Glorieuses, où les autoroutes françaises n’étaient pas encore construites, ne le voient pas, ne veulent pas le comprendre, mais une grande partie de la population estime que notre taux d’équipement en infrastructures atteint ses limites et l’avenir montrera qu’il sera de plus en plus difficile de saccager l’environnement au nom de cette vision-là de la prospérité.
La conformité légale était respectée, mais l’intérêt général ?
En anglais, on dit parfois « il faut faire les bonnes choses, pas juste les choses bien » (« do the right things rather than just do things right »). Dans ce cas-ci, la conformité avec le cadre légal ne signifie pas qu’on aurait oeuvré dans le sens de l’intérêt général en persistant dans la construction d’un aéroport. Certains objecteront qu’avec un tel argument, les autorités publiques pourraient justifier n’importe quel revirement de politique. Sauf si l’on admet honnêtement de nouveau qu’il y avait ici des enjeux qui dépassaient des enjeux locaux de mobilité et économiques. Se conformer « pour le plaisir » aux décisions de justice, ça aurait été faire les choses « bien », mais pas « les bonnes choses ».
Lire aussi : Les grands projets remis en question par ‘L’intérêt général et moi’
Car, et c’est l’autre aspect essentiel de cet enjeu de démocratie, qu’en est-il des générations futures ? Celles-ci ne sont pas représentées dans le débat. Les générations actives en 2050 et 2100 n’ont certes pas participé au référendum de Loire-Atlantique. Mais qu’imaginons-nous penserons les générations futures ? Qu’on a laissé une opportunité s’échapper de développer l’économie locale (c’est ce que pensent aujourd’hui les partisans du projet) ? Ou qu’on a bien fait de réfléchir à des alternatives moins dommageables d’un point de vue écologique ? Gageons que le référendum au niveau national et incluant fictivement les générations à venir aurait rejeté massivement feu l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Illustration bannière : Content pas content du verdict pour Notre-Dame-des-Landes ? © Tatyana Dzemileva