Les marchands n’en finissent pas d’affiner leurs stratégies pour nous faire acheter plus. Des petites astuces simples connues depuis que le commerce existe au marketing polysensoriel, les manipulations du merchandising sont parfois simplistes, mais souvent redoutablement efficaces. Vous saurez maintenant mieux vous méfier.
Comment les magasins nous manipulent
Selon Alan Penn, professeur au University College London « Quand vous faites vos courses, vous devenez une marionnette. Vous faites ce qu’on vous demande et vous le faites selon leur plan. » Nous allons vous montrer comment on vous mène – parfois littéralement – par le bout du nez.
Commençons par entrer dans un supermarché.
Proposer des chariots bien trop grands et qui roulent sans effort
Quel intérêt pour un supermarché de nous offrir un chariot surdimensionné ?
Avec un chariot plus large et plus profond, on a tendance à en mettre plus dedans ! Logique : avec un chariot plein ou un panier bien lourd à porter à bout de bras, on file plus vite à la caisse.
On vous propose donc aussi des paniers à roulettes : plus grands que les anciens, ils sont conçus pour porter vos achats sans effort jusqu’à la caisse.
Placer fruits et légumes juste à l’entrée
Ne vous êtes-vous pas toujours demandé pourquoi on tombe toujours sur les fruits et légumes dans les supermarchés parmi les premiers rayons ?
Ce n’est pas fortuit. Leur impact visuel est positif : colorés, ils dégagent aussi un inimitable parfum de frais et donnent un sentiment de « sain » qui contraste avec d’autres rayons qui le sont beaucoup moins. Commencer ses courses par ce qui est bien déculpabilise pour ce qui l’est moins plus au fond du magasin…
Et pour rendre plus visibles et plus attractifs ces beaux étalages alimentaires, on les massifie, c’est à dire qu’on fait de gros empilements de fruits et légumes pour donner l’impression qu’il y en a beaucoup. Et donc scénariser à la fois l’abondance et ce sentiment, inconscient, d’achat vertueux.
Proposer les fruits et légumes les moins frais en premier
C’est de bonne guerre : il vaut mieux vendre les fruits et légumes les moins frais en premier, et donc bien les présenter, donner l’impression qu’ils sont arrivés du matin, et placer les plus frais sous les moins frais.
Plus un petit coup de vapeur d’eau toutes les demi-heures pour leur donner belle allure, et le tour est joué !
Le marketing polysensoriel pour influencer notre inconscient
Son, vue, odeur, ambiance, toucher… les magasins stimulent nos sens en adoptant les techniques du marketing polysensoriel. Décryptage des techniques les plus courantes.
Nous faire voir rouge pour créer un sentiment d’urgence
Vous avez sans doute remarqué que les promotions, les étiquettes de soldes ou de « discount » sont souvent de couleur rouge. C’est voulu : le rouge est la couleur que l’oeil humain voit en premier, contrairement au bleu, que l’oeil voit en dernier.
Il s’agit de jouer sur notre réflexe pavlovien qui va associer, au un niveau subconscient, la couleur rouge aux promotions et donc créer une impulsion d’achat.
En général, les couleurs chaudes et vives stimulent la consommation. En poussant, cela crée une tendance à acheter sans trop réfléchir au prix quand la promo se fait remarquer par un sticker rouge bien flashy.
Stimuler nos oreilles
Pour vous faire rester plus longtemps dans un le magasin tous les moyens sont bons. Avec une musique rapide, on a tendance à se presser et à accélérer le pas.
Avec une musique rapide s’accroît la vitesse de déambulation des clients dans un magasin. Avec une musique douce, on crée un climat détendu qui nous ralentit.
Dans les rayons vins, on vous fait écouter de la musique classique pour vous inciter à consommer des bouteilles prestigieuses. Avec un slow, on flâne et on chine les rayons bien plus facilement qu’avec du rock métal. C’est assurément mieux pour le tiroir-caisse.
Bref, ce que vous entendez n’est pas une « musique d’ascenseur » choisie au hasard. La société Mood média est le grand spécialiste des bandes-sons qu’on entend dans nos hypermarchés. Des dizaines de milliers de points de vente en France et en Europe lui achètent des play-lists préparées pour les différents moments de la journée ou jours de la semaine.
On nous mène par le bout du nez : +38 % d’achats
Les professionnels, ont compris depuis longtemps la grande influence que peut avoir une simple odeur sur nos humeurs et donc sur nos comportements : odeur de cuir, de cire ou de bois dans les magasins de meubles ou de déco, odeur de pain en boulangerie, etc. Pour la température, on a plutôt tendance à surchauffer que l’inverse.
Chez Boulanger, au rayon café, on vous baigne dans une douce odeur de café – cappuccino ; au rayon machines à laver, c’est une odeur de propre qui vous attire. Les odeurs d’herbe coupée apparaissent en période de promotion, comme ce fut le cas pendant … la Coupe du monde de foot. De quoi se sentir sur le terrain avant le match. Les exemples sont nombreux.
On résiste difficilement aux odeurs car on n’y fait souvent pas attention. Les odeurs touchent en effet aux émotions sans qu’on s’en aperçoive. La diffusion de senteurs artificielles boosterait les achats d’impulsion de 38 %, d’après Pascal Charlier, directeur général d’Air Berger, numéro 1 du marketing olfactif en France.
Certaines entreprises elles-mêmes diffusent désormais du parfum dans les bureaux, selon l’heure de la journée. Le matin, on respire une odeur stimulante, par exemple du citron qui a des vertus stimulantes. Et l’après-midi, on baisse un peu la température pour que les employés ne s’endorment et on diffuse des odeurs apaisantes ou zen, comme le thym ou la lavande.
Ralentir notre pas et notre regard
Dans un magasin, même la forme des meubles a son importance : ils sont là pour vous ralentir et capter votre attention.
Les lignes droites favorisent la vitesse et les rondeurs favorisent l’inverse, la déambulation lente. Regardez bien, là où on veut vous attirer, les mobiliers sont courbes, des îlots coupent la circulation, et vous les regardez bien plus que les rayons rectilignes vides.
Nous faire faire un marathon
Le champion en la matière, c’est Ikea. Impossible d’aller aux caisses sans faire des centaines de mètres dans un labyrinthe de rayons. Le but est évidemment de vous faire subir la vue – forcément attractive – de produits auxquels vous n’avez pas pensés et dont vous ne saviez pas que vous aviez envie avant de repartir du magasin votre coffre plein de nouveaux objets. L’achat impulsif est stimulé en nous mettant sous le nez une offre pléthorique.
Grâce à un parcours labyrinthique bien étudié, 68 % des achats réalisés dans les magasins du géant suédois de l’ameublement Ikea seraient ainsi des achats d’impulsion, un score 7 fois plus élevé que celui des enseignes traditionnelles.
Les produits les plus chers du parcours sont présentés en premiers et, tout au bout du laborieux périple, les clients arrivent dans la zone remplie d’articles en promotion ! Très malin.
Nous perdre… pour mieux trouver le chemin de notre portefeuille !
Chez Harrod’s à Londres, on s’en est fait une spécialité. Le temps moyen passé par un client dans le grand magasin : 2h20 ! Record du monde.
Le seul reproche que les « visiteurs » – on ne les appelle pas clients – font à ce grand magasin, c’est la pauvre signalétique : « on ne sait plus où on est », « on ne sait pas où est la sortie », « on n’arrête pas de déboucher dans de nouveaux rayons », se plaignent mollement les égarés. La prochaine fois vous saurez que c’est intentionnel.
Faire perdre leurs repères aux chalands découle bien sûr du même objectif que la stratégie de l’hypermarché qui change régulièrement l’aménagement de ses rayons : vous faire déambuler, provoquer des achats d’impulsion et non programmés. Si vous n’achetiez, efficacement, que votre produit d’entretien ou autres objets habituels, vous consommeriez beaucoup moins.
Nous donner faim
C’est connu : quand on a faim, on a tendance à acheter plus.
C’est pourquoi on conseille de faire ses courses sans avoir faim. Celui qui veut n’acheter que ce dont il a besoin a intérêt à faire ses courses après un bon repas. Pour les commerçants, il est donc logique de chercher à nous donner faim : bonne odeur de pain chaud, de pizza, produits frais et alléchants bien exposés en vitrine, bonbons accessibles aux caisses, photos géantes de gâteaux dans les rayons… tous les moyens sont bons.
Nous embrouiller avec les chiffres
C’est bizarre comme il n’y a guère de comptes ronds dans le commerce. Le but est de jouer sur les prix psychologiques et sur notre faiblesse en calcul mental. Quoiqu’on fasse, on a toujours une meilleure impression d’un prix à 11.99 euros qu’à 12.01 euros, même si ça ne change pas grand-chose.
C’est comme ça, les consommateurs perçoivent le prix de 9.99 euros comme étant plus proche de 9 euros que de 10 euros. Et puis, il est toujours délicat de calculer ce qui est le moins cher : des fruits/légumes en vrac (avec un prix au kilo) ou bien ces mêmes produits emballés (avec un prix à la barquette ou au paquet).
Moins facile aussi d’additionner 10 produits avec des doubles décimales que 10 produits à comptes ronds. Quand on ne sait plus très bien où on en est, on freine moins vite ses achats.
Placer les produits les plus chers là où il faut
On a vu qu’il existe un biais cognitif qui nous fait acheter certains produits plus que d’autres selon qu’ils sont situés à tel ou tel endroit.
Vous savez que les chefs de rayons placent les produits qu’ils veulent dans l’espace situé à portée de main, et à hauteur d’yeux ou de genoux. Comme par hasard, les produits à plus faible marge, moins chers, sont tout en haut ou tout en bas à gauche du rayon. Et comme, on vient de découvrir qu’il existe aussi un biais de centralité horizontale, on va devoir se méfier des produits au centre !
Vous tombez sur des piles électriques au milieu des boites de conserve ; une erreur ? Pas du tout. Mettre au milieu des produits incontournables, des produits à fréquence d’achat plus faible, est un vieux truc efficace. Non, les piles ne sont pas mal rangées. Bien au contraire.
Vous hésitez à essayer cette nouveauté mise en avant ? Un vendeur empressé vient vous la recommander en vous touchant le bras : cela va vous donner confiance. Le rôle des vendeurs, quand ils sont bien formés, peut s’avérer décisif.
Du pain et des jeux… Nous distraire pour nous faire rester plus longtemps !
Là encore, Harrods ou les Galeries Lafayette sont des champions. Il s’agit d’une autre façon de nous faire passer plus de temps dans le magasin : magicien en démonstration au rayon jouets, jeunes filles qui défilent au rayon lingerie, homards et poissons vivants, téléviseurs géants et ordinateurs utilisables, décoration pimpante… vous avez tous été témoin de ces techniques éculées mais efficaces.
Il s’agit aussi de donner un sentiment d’euphorie et de bonne humeur propice à l’achat.« Et puis zut ! C’est la fête, je me fais plaisir, je prends ! »
Certaines marques n’hésitent pas à organiser de fausses files d’attentes devant le magasin, comme devant les boites de nuit, afin d’accentuer la sensation de pénurie. Le sentiment de passer à côté d’une « bonne affaire », le sentiment de rareté, est une technique particulièrement fréquente.
Tout est question d’ambiance : la marque Abercrombie impose à ses vendeurs de dire bonjour en anglais – cela ferait branché -, parfume les vêtements éclairés par des spots tandis que les allées sont dans le noir, la musique est assourdissante. Certains points de vente cherchent ainsi à rapprocher l’expérience d’achat d’une de divertissement.
Faire de nos enfants des complices
Qui n’a pas vu des gamins boudeurs – les siens ? – faire la tête à leurs parents ? Qui n’a jamais acheté pour faire taire un enfant qui se met à chouiner dans le magasin ?
Les marchands sont experts dans l’art de s’adresser à nos enfants. Bien sûr, on place les produits qui leur sont destinés à hauteur d’yeux, avec des repères visuels bien évidents (super héros, rappels d’émissions TV…). Sans parler des éternels bonbons et Kinder Surprise à la caisse.
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