Les consommateurs s’en réjouissent, mais les fabricants et vendeurs non : les LED durent vraiment très longtemps.
Elle a 114 ans. Dans son univers, c’est la doyenne. Pour les combattants de l’obsolescence programmée, c’est une héroïne, inscrite au Guiness Book des records : l’ampoule du garage des pompiers de Livermore, en Californie, a déjà brillé plus d’un million d’heures, et continue vaillamment. Incarnation vivante que les ampoules ont par la suite été conçues pour ne pas durer. Mais cette ampoule, de très nombreuses générations plus tard, a enfin des descendantes dignes d’elle : les LED, qui posent, on peut s’en réjouir, le problème aux industriels d’une longévité retrouvée.
Notre vénérable ampoule est donc en service quasiment sans interruption depuis 1901. Inventée par le Professeur Adolphe Chaillet, né en 1867 en France, et qui démarra sa propre firme de fabrication d’ampoules aux États-Unis en 1896, après y avoir émigré en 1892. Elle a survécu à trois webcams jusqu’à présent ! Vous pouvez la voir en activité sur la webcam actuellement en service.
Étonnamment, cette auguste ampoule est à incandescence, la variété que l’on voue aujourd’hui aux gémonies pour leur courte durée de vie. Parce qu’effectivement, si vous aviez branché chez vous une ampoule à incandescence ordinaire le 1er janvier de cette année et l’aviez laissée allumée continûment, elle serait probablement morte par vers… le 12 février. Ces ampoules brûlent en effet généralement un millier d’heures, soit environ moitié moins que l’ampoule moyenne du début des années 1920.
Les LED changent la donne
Mais les ampoules dites LED – pour Light Emitting Diodes en anglais – viennent enfin corriger cet artifice générateur de gâchis. Utilisant la technologie des semiconducteurs, certaines peuvent atteindre une longévité de 50.000 heures. Le souci c’est que personne n’a encore trouvé le « business modèle » qui convienne à une telle durée de vie.
La pénétration actuelle des LED sur le marché des ampoules est de 7 % au niveau mondial. Les spécialistes prévoient qu’elle atteindra 50 % d’ici 2022 environ. Au cours du premier trimestre de 2016, selon l’association nationale des fabricants d’ampoules américaine, les ventes de LED ont atteint le quart des ventes. Il va donc falloir trouver une solution au problème du business modèe pour rendre cette industrie pérenne. Au risque sinon de reprendre la formule trouvée par l’industrie il y a un siècle : raccourcir artificiellement leur durée de vie.
1924, année de la conspiration industrielle pour raccourcir la durée de vie des ampoules
Car c’est en 1924 que les grandes entreprises mondiales de l’éclairage, les Philips, Osram et General Electric se réunirent en Suisse pour convenir d’une durée de vie de mille heures. Cette entente est aujourd’hui considérée comme l’un des premiers exemples d’obsolescence programmée à l’échelle industrielle. Cette concertation était vue à l’époque non pas comme une conspiration contre les consommateurs et l’environnement, mais comme une mesure nécessaire pour l’emploi, rationalisée comme telle notamment au moment de la grande dépression.
Les LED viennent quoi qu’il en soit contredire un siècle de telles pratiques. La plupart affichent 25.000 heures de vie au compteur. Si vous en aviez branché une le 1er janvier aux côtés de son ancêtre à incandescence, elle ne s’éteindrait que le 15 mai de l’année suivante. Sachant qu’un éclairage n’est allumé en moyenne que 1,6 heure par jour, votre LED devrait, en théorie du moins, vous donner satisfaction pendant… plus de 42 ans.
L’industrie s’inquiète du moment où suffisamment de LED seront sur le marché qu’elles commenceront à faire que les ventes dans leur ensemble se contractent. Face à cette perspective, deux stratégies se dessinent.
Déjà apparaissent sur le marché des LED moins chères, de mauvaise qualité et avec des durées de vie plus courtes. Ou bien les LED sont incorporées dans des objets eux-mêmes destinés à une durée de vie raccourcie.
L’autre approche est de prévoir la sortie du marché. Fin mai, Philips a par exemple créé une société autonome, Philips Lighting, anticipant que le marché traditionnel des ampoules diminuera. En Allemagne, Osram a fait une opération similaire, ainsi que GE en octobre passé, la société satellisée pouvant être facilement revendue si besoin. Cette dernière se positionne aussi sur des équipements pointus, comme les lampadaires publics avec des capteurs qui alertent les autorités lorsque des coups de feu sont détectés dans leur zone. La connectivité intégrée est, plus généralement, la voie haut-de-gamme choisie par certains constructeurs, pour donner plus de valeur à leurs produits.
Qui sait, regardera-t-on avec joie dans 100 ans les premières ampoules LED fonctionner sans arrêt depuis aujourd’hui. Mais cette fois grâce à des webcams également faites pour durer ?