Créée en 2012, l’agence Wiithaa accompagne les entreprises et les collectivités pour traduire dans la réalité le concept d’économie circulaire et « co-construire avec eux les objets, les services et les systèmes de demain », travaillant avec de grandes marques telles L’Oréal, Peugeot ou encore La Poste.
Selon Didier Toque, Directeur général de Nouvelle Attitude, la filiale du groupe La Poste qui a construit une filière pour le recyclage des papiers de bureaux, « L’économie circulaire est une vision de grande envergure qui peut entraîner les acteurs d’un département, d’une ville ou d’un quartier dans des innovations majeures pour sauvegarder leur environnement et développer leur économie. D’une portée considérable, elle permet d’apporter plus de richesse, de sécurité et de bien-être aux populations en créant des rapports entièrement nouveaux entre les citoyens et tout ce qui les entoure. »
Ainsi, Nouvelle Attitude a inventé avec les facteurs de La Poste la « logistique inversée » pour collecter les déchets valorisables des PME en utilisant le circuit de distribution du courrier, et a ainsi récupéré des dizaines de milliers de tonnes de vieux papiers, auparavant détruits. Un exemple parmi d’autres d’un retour au bon sens et à des principes de fonctionnement fondamentalement naturels.
consoGlobe.com – A quoi ressemblerait un monde et une économie qui seraient totalement « circulaires » ?
Brieuc Saffré – Ce monde existe déjà, mais on en est sorti. C’est un monde dans lequel la notion de déchet n’existe pas. Le vivant, le végétal, l’animal est organisé ainsi. C’est une économie calée sur le fonctionnement des écosystèmes. Dans la nature, il n’y a pas de déchets, il n’y a pas d’accumulations nocives dans l’environnement.
Donc c’est une économie qui essaie de s’inspirer de stratégies naturelles. Où tous les déchets sont les ressources des autres. Il n’y a que l’Homme qui en tant qu’espèce, s’est déconnecté de ce modèle et qui génère une quantité de déchets énorme, déséquilibrant des équilibres naturels de millions d’années.
consoGlobe.com – Quelles sont les priorités pour être sans déchet ?
BS – Comme c’est un changement total de société, c’est un ensemble de changements. Cela va de l’éducation à la façon de manger, de faire de l’énergie… C’est un système très complexe, plein d’impacts générés qu’il faut réussir à gérer et faire en sorte qu’ils soient positifs.
consoGlobe.com – En pratique, qu’est-ce qu’on peut faire ?
BS – A l’échelle individuelle et collective, ça ne se réduit pas à quelques gestes, mais certains sont emblématiques. Par exemple, nous devons valoriser nos déchets alimentaires, ne pas toujours acheter neuf, mais de seconde main ; vider nos placards, pour recycler les matières, les vieux habits, les jeux… pour qu’ils aient une nouvelle vie.
Une illustration tirée de l’ouvrage et un exemple d’utilisation circulaire des ressources © Eyrolles
Dans une tonne de téléphones portables il y a plus d’or que dans une tonne de minerai en Afrique.
On peut aussi prendre l’exemple des téléphones portables que l’on garde dans le tiroir quand on en achète un nouveau « au cas où », alors que dans une tonne de téléphones portables, il y a plus d’or que dans une tonne de minerai en Afrique, et de même pour un certain nombre de terres rares et minerais précieux. Mais les téléphones ne sont pas aujourd’hui pensés pour être démontés. Les industriels aujourd’hui ne s’occupent que de l’or, alors que ces terres rares le sont de plus en plus…
Dans l’économie circulaire, on pense plus en termes de flux qu’en termes de stocks.
BS – Pour les industriels, l’une des priorités, c’est l’éco-conception. Ça implique de déterminer en amont quelles matières on va utiliser. Au lieu de vendre un produit sans penser à la suite de sa vie, on va plutôt penser à sa fonctionnalité, penser à l’accès à un service plutôt que juste à un produit. Et il faut penser à la valorisation en fin de vie. Il y a aussi les dispositifs d’écologie industrielle, pour faire en sorte que les déchets de production soient revendus à d’autres entreprises.
consoGlobe.com – Qui met en oeuvre ces principes aujourd’hui ?
BS – C’est ce que fait Michelin depuis plusieurs années : pour les flottes de véhicules professionnels, ils louent des pneus au kilomètre, au lieu de les vendre et de ne plus s’en occuper par la suite. Et donc d’un coup, ça change la façon dont on fabrique le produit, on va le penser différemment pour pouvoir remplacer la gomme, qu’il soit plus durable…
Une autre illustration tirée de l’ouvrage © Eyrolles
Le service a été lancé début 2010, et la compagnie de transports en commun de Londres est par exemple passée à ce mode, très pratique pour eux, et qui leur permet de ne pas avoir de problème de trésorerie.
C’est ça qui est intéressant avec l’économie circulaire, si c’est bien pensé, tout le monde est gagnant : ici Michelin, qui entre dans une nouvelle relation durable avec son client. Le client, qui n’utilise que ce dont il a besoin. Et l’environnement y gagne, parce qu’on est beaucoup plus économe en ressources.
consoGlobe.com – Vous consacrez un chapitre de votre livre au thème « Innover selon les lois de la nature » : ça veut dire quoi ?
BS – On parle de biomimétisme, qui s’appuie sur trois principes fondamentaux. D’abord, les déchets des uns sont les ressources des autres. Ensuite, on va chercher à maximimiser les interactions locales.
Enfin, on chercher à optimiser plutôt qu’à maximiser les ressources : dans la nature, les espèces utilisent ce dont elles ont besoin et redonnent le reste, comme un arbre dans la forêt qui pousse plus haut que les autres mais redistribuent sous différentes formes l’énergie qu’il a collectée.
Tiré de l’ouvrage « Activer l’économie circulaire » © Eyrolles
consoGlobe.com – Il y a eu récemment différentes initiatives en France, avec la loi sur la transition énergétique, et avec un nouveau paquet législative européen consacré à l’économie circulaire européen présenté en fin d’année passée par la Commission européenne : est-on sur la bonne voie ?
BS – Ces textes sont encourageants, mais on est encore plus dans la punition que dans l’incitation. Plus on va faire en sorte de faciliter le changement, plus ce sera efficace. Il faut multiplier les incitations à changer.
Par exemple, ce serait facile de réduire la TVA sur les produits revendus. Avec une TVA égale pour les produits d’occasion et pour les produits neufs, c’est clair qu’on n’incite pas à acheter des produits de seconde main.
A lire :
« Activer l’économie circulaire – Comment réconcilier l’économie et la nature », Nicolas Buttin, Brieuc Saffré, Ed. Eyrolles, 2016.
Le livre met à disposition des outils pour agir au niveau de l’entreprise, du territoire, de la collectivité, ou en tant que simple citoyen.