C’est également en Asie, en Thaïlande, que la filière d’exportation des crevettes et autres thons se fait remarquer pour son exploitation de migrants illégaux, transformés en quasi esclaves.
Si vous achetez des scampis qui sont importés de Thaïlande, on en trouve dans certains hyper- et supermarchés, attention : il faut savoir qu’il est probable que ces produits de la mer aient été produits, nourris par des travailleurs bénéficiant de conditions de travail misérables. A tel point que certains médias, comme le Guardian britannique, un des premiers à en avoir parlé, n’hésitent pas à parler de véritable « esclavage moderne ». Déjà en 2012, le Global Post avait enquêté 3 mois pour mettre au jour toute une chaîne logistique des exportations des pêcheries d’Asie du Sud-est qui repose sur l’esclavage.
Le saviez-vous ?
90 % des quelque 300.000 personnes employées sur les navires de pêche thaïlandais sont des migrants, donc potentiellement exploitables. Mais la Thaïlande peine à réagir face à une filière qui représente 7 milliards de dollars de revenus en 2011 et un secteur clé pour son économie. Elle est en effet le 1er exportateur mondial de crevettes avec 500 000 tonnes, dont 10 % par la société Chaoren Pokphand Foods accusée d’esclavagisme.
Sont majoritairement concernés des travailleurs venant de Birmanie et du Cambodge, deux économies en phase d’ouverture et de décollage mais qui servent de « base arrière » à la Chine du fait des bas salaires qui y sont pratiqués. Ces migrants birmans et cambodgiens sont attirés en Thaïlande avec des promesses de travail bien rémunéré … qu’ils ne voient jamais.
Envoyés en haute mer sur des navires à l’état parfois effrayant, ils sont démunis de leurs papiers, quand ils en ont et forcés de travailler parfois jusque 20 heures par jour et parfois plusieurs années d’affiliée avant de pouvoir se dégager de ce piège. Impossible de s’échapper et impossible de faire autrement que de se contenter des coups, parfois mortels, de la nourriture minimale, assiette de riz et du harcèlement d’employeurs sortis d’un autre âge.
Certains rescapés et marins ont témoigné de pratiques barbares : des tortures et des malades, trop faibles pour travailler, et précipités vivants par dessus bord. Des travailleurs drogués ou assassinés, puis découpés, jetés à l’eau quand ils sont trop épuisés. Les exemples de pratiques cruelles abondent et l’actualité est émaillée de « petits » faits divers, comme ces quatre Vietnamiens qui avaient sauté en pleine mer de leur bateau de pêche au large de Papeete pour échapper aux sévices qu’ils subissaient à bord en 2008.
Une pêche aveugle
Vous vous en doutez, ces respectables patrons de pêche ne font pas dans la dentelle : leurs filets pêchent et remontent tout ce qu’ils trouvent, sans distinction aucune. Les prises trop petites et interdites ou non comestibles sont utilisées sous forme de broyat qui finira comme matière première alimentaire dans des élevages de scampis et crevettes. Bien des patrons d’usines de transformation des produits de la mer thaïlandaises ignorent par qui a été pêché le poisson qu’ils transforment avant de l’exporter à nouveau et ils ont tendance à fermer les yeux. Ce qui compte, c’est l’exportation plus que l’éthique des approvisionnements.
L’impunité des chalutiers hauturiers
La complexité du réseau logistique de la pêche rend les choses difficiles à évaluer mais il semble que c’est bien sur les chalutiers de haute mer que se posent les plus gros problèmes ; car toute la chaîne n’est pas « pourrie ». Les deux produits les plus exportés, la crevette et le thon ont des filières bien distinctes : les fermes aquacoles qui élèvent le thon sont, elles, régulièrement contrôlées inopinément. C’est sur les chalutiers hauturiers où est pêché le thon « thaï » avant d’être importé en Thaïlande puis réexporté que sévissent les pires esclavagistes.
Cet exemple est une belle illustration de la dérive de certaines filières agro-alimentaires mondialisées dont même des groupes de distribution puissants ont du mal à démêler les fils. Soja brésilien, huile de palme indonésienne, tomates andalouses ou fraises catalanes, scampis et langoustines de Thaïlande, ces exemples soulignent le danger des monocultures à échelle industrielles.
Le circuit de la pêche pirate résumée dans un schéma (cliquer pour agrandir)
Selon le Guardian, qui a enquêté pendant six mois, un groupe notoire, le Charoen Pokphand (CP) Foods, « la cuisine du monde » qui n’hésite pas à s’approvisionner régulièrement auprès de ces fournisseurs esclavagistes. Ce qui gêne aujourd’hui des groupes de distribution comme Cora, Colruyt (Belgique), Match, Costco, Tesco ou Carrefour, c’est qu’on a pu ou on peut trouver des produits vendus CP Foods dans leurs rayons.
La direction du groupe Carrefour, saisie du problème, a rapidement réagi en suspendant la vente les produits CP Foods. L’enseigne belge Colruyt a carrément renvoyé le stock qui lui restait au fournisseur.