Les insectes pollinisateurs sont nécessaires à la reproduction de la plupart des plantes. Or, quand on évoque cette question, on pense immédiatement à nos abeilles qu’on sait en danger ! Pourtant, la réalité est un peu différente et on imagine moins que ces mêmes abeilles domestiques puissent représenter un danger pour les autres insectes pollinisateurs voire même pour les plantes qu’elles butinent !
Face au déclin des abeilles domestiques, des initiatives se sont multipliées, en particulier, dans les zones urbaines par la mise en place de ruches ou en limitant l’utilisation de pesticides. Si les humains ont voulu agir en faveur des pollinisateurs, il semblerait qu’ils aient oublié que toutes les abeilles ne sont pas les mêmes, et qu’en changeant les lois de la nature, il modifie l’écosystème, et ce au détriment des abeilles sauvages.
Abeilles domestiques et abeilles sauvages : de quoi parle-t-on ?
Les abeilles dites domestiques, les plus connues, sont celles qui produisent du miel. Leur nom scientifique est Apis mellifera pour les abeilles à miel occidentales, et Apis cerana, pour les abeilles à miel orientales.
Les Apis mellifera ont un rôle primordial dans notre économie, avec près d’1,6 million de ruches pour plus de 21.600 tonnes de miel par an(1).

Les abeilles domestiques fournissent du miel © kosolovskyy
Les « abeilles sauvages » (tisserandes, charpentières, halictes, mégachiles, collètes, etc.) et autres pollinisateurs englobent près de 1.000 espèces en France, dont des espèces de bourdons solitaires, de papillons nocturnes ou encore des mouches syrphes. Au total, on en recense près de 20.000 espèces dans le monde.
Contrairement aux abeilles domestiques, les pollinisateurs sauvages ne font pas de miel (le nectar butiné est mélangé avec le pollen, pour en faire de la nourriture pour les jeunes) et ne représentent donc pas un intérêt économique majeur évident. Conséquence : ils sont bien moins protégés que les Apis mellifera.
Pourtant, ils assurent un rôle de premier plan pour notre écosystème. Plus de 80 % des plantes à fleurs dépendent de ces insectes sauvages ; les abeilles domestiques n’assurant que 15 % de la pollinisation. Ainsi, les abeilles sauvages garantissent le rendement de près de 75 % des cultures agricoles (dont 90 % des arbres fruitiers), soit une rente de 153 milliards de dollars par an au niveau mondial (et 22 milliards en Europe)(2). L’importance de l’abeille dans l’arboriculture est dix fois supérieure à celle dans l’apiculture.
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Vers une extinction des abeilles sauvages
Aujourd’hui, les initiatives en faveur des abeilles laissent penser que les humains ont pu préserver l’espèce, mais c’est sans compter l’absence de différenciation entre ces deux catégories de pollinisateurs. Le nombre d’abeilles sauvages continue de baisser à un rythme alarmant : 50 % de toutes les espèces d’abeilles européennes sont menacées d’extinction.
Si les deux espèces souffrent de l’activité humaine, les experts estiment que le phénomène d’effondrement dans les colonies d’abeilles domestiques ne relève pas du même facteur que le déclin spectaculaire de milliers d’espèces de pollinisateurs sauvages.

Un bourdon qui butine © Jari Sokka
Ces derniers sont victimes de l’introduction massive des abeilles mellifères, reconstituées par l’élevage et l’agriculture, dans leur environnement. Selon des chercheurs de Cambridge dans la revue Science : « Les abeilles domestiquées contribuent au déclin des abeilles sauvages par la concurrence des ressources »(3).
Par exemple, dans les villes, les espèces sauvages sont présentes dans les milieux urbains : dans le Grand Lyon, on en compte 291 espèces et 67 dans Paris. Mais, en augmentant le nombre de ruches, on augmente les populations d’abeilles à nourrir pour une même quantité de nourriture. Il s’en suit une compétition entre les espèces. Les colonies d’abeilles domestiques comptent en moyenne 50-80.000 individus alors que les pollinisateurs sauvages sont solitaires ou en petites colonies.
Ce débordement massif des abeilles d’élevage dans le paysage avec une concurrence potentielle avec les pollinisateurs sauvages entraîne également la transmission des maladies contagieuses vers les espèces sauvages, plus fragiles.
« Une modification des patrons de flux de pollen entre plantes pouvant entraîner une perturbation de la reproduction des plantes et une modification de la composition des communautés végétales » expliquent les chercheurs.
Faire des abeilles domestiques des abeilles d’élevage pour sauver les abeilles sauvages
Pour préserver les abeilles sauvages, les chercheurs proposent de considérer l’abeille domestique comme un animal d’élevage(4). « Les abeilles domestiques peuvent être nécessaires pour la pollinisation des cultures, mais l’apiculture est une activité agraire qui ne doit pas être confondue avec la conversation de faune ».

Retour aux ruches © Photografiero
Mais, l’apiculture reste un élevage à part, car contrairement aux autres élevages (bovins, porcins…), il est impossible de contrôler les déplacements des abeilles d’élevage. Ainsi, les chercheurs encouragent un meilleur contrôle de l’apiculture, en limitant la taille des ruches ou en contrôlant les ruches aménagées dans les aires protégées.
Aux États-Unis, certains agriculteurs louent des ruchers afin d’attirer les abeilles sauvages pour polliniser leurs cultures. À notre niveau, il est également possible d’agir en privilégiant les plantes locales indigènes riches en pollen et nectar, en construisant des nids pour insectes, en évitant d’avoir recours aux produits phytosanitaires et en s’assurant qu’il y a des fleurs pour ces espèces aussi.
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