« L’annonce d’Axa de quitter le charbon est décisive » [Interview]

Rédigé par Stephen Boucher, le 27 May 2015, à 15 h 10 min
« L’annonce d’Axa de quitter le charbon est décisive » [Interview]
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Le patron d’Axa, Henri de Castries, a annoncé, vendredi 22 mai, son intention de faire sortir la compagnie d’assurance qu’il dirige de tout investissement lié au charbon d’ici fin 2015, et, en parallèle, de multiplier par trois les investissements du groupe dans les énergies renouvelables d’ici 2020. Quelques jours plus tôt, c’était le Crédit Agricole qui annonçait s’engager à ne plus financer de nouveaux projets liés à l’extraction de charbon.

Pour comprendre la portée de ces annonces et savoir si elles font partie d’une réelle tendance bienvenue de « désinvestissement » hors des énergies fossiles, consoGlobe a rencontré Rodolphe Bocquet, co-fondateur et PDG de l’agence Beyond Ratings, qui « améliore l’évaluation de facteurs de risque liés à l’énergie et au climat facteurs » pour les entreprises et les États.

consoGlobe – Axa annonce un désinvestissement de 500 millions d’euros hors du charbon. Impressionnant à première vue, mais sur un bilan de 800 milliards d’euros, cela ne représente que 0,06 % de son portefeuille. Est-ce à l’image du débat sur le désinvestissement hors des énergies fossiles parmi les acteurs économiques : marginal et symbolique ?

Rodolphe Bocquet – Le mouvement de désinvestissement doit être vu en deux temps. Le mouvement de désinvestissement est d’abord parti des campus américains. Il est donc un peu marginal, même s’il y a des fonds adossés aux universités qui ne sont pas négligeables. Mais le fait qu’il y ait cet engagement est extrêmement symbolique et puissant en termes de messages, avec deux impacts : il y a tout d’abord un mouvement populaire, sociétal. Cest rafraîchissant, parce que généralement l’environnement mobilise peu. Ça montre aussi que la jeunesse a un pouvoir d’action très concret.

Deuxième temps : à partir du moment où les investisseurs institutionnels s’impliquent, on change complètement de braquet. Axa est l’un des plus gros gestionnaires d’actifs européens, donc c’est une annonce décisive, extrêmement forte. Même si c’est marginal dans leur portefeuille : 0,06 % pour Axa, ce n’est pas engageant pour le bilan de la société. Il y a donc aussi une certaine intelligence communicationnelle d’un acteur français, en amont de la COP que la France accueille [NDLR : les négociations climat en décembre 2015 à Paris].

Mine de charbon à ciel ouvert

Mine de charbon à ciel ouvert

consoGlobe – Le mouvement de désinvestissement a été jusqu’ici plutôt anglo-saxon, parti des campus américains, récemment relayé auprès de la City par The Guardian. Constatez-vous qu’il trouve un écho dans la communauté financière française, notamment par les activités de Beyond Ratings qui visent à faire mesurer par les acteurs publics et privés le risque micro- et macro-économique d’être dépendant des énergies fossiles ?

Rodolphe Bocquet – C’est difficile de dire comment c’est perçu par tous les acteurs, mais la traction médiatique du sujet est très forte. Cela donne l’apparence de pouvoir être traité simplement, en cachant une réalité plus complexe.

Mais le sujet fait son chemin. Il faut dire qu’on est servi par une actualité d’une richesse incroyable : toutes les semaines il y a des développements majeurs qui viennent illustrer l’importance de ce risque. Qui montrent que les thématiques énergétiques et climatiques sont structurantes pour le développement économique. Ces dernières semaines, on a eu le scandale de corruption de la société pétrolière brésilienne Petrobras, qui a fait doubler l’évaluation de risque (« default swap ») sur le Brésil, actionnaire principal.

De même, la chute rapide du prix du pétrole met la Russie dans la difficulté, avec des impacts sur la Société Générale, qui a provisionné 570 millions d’euros, soit plus de 50 % de son résultat net !

On a aussi le retour de flamme du développement du gaz de schiste aux Etats-Unis. Un de nos clients nous a demandé de faire une analyse sur le Texas. On constate des aspects inquiétants : sur les 15 dernières années, le poids du secteur énergétique, en amont et en aval, a doublé dans l’économie texane. On était il y a 10 ans sur une proportion de 80 % de carburants fossiles conventionnels, 20 % en non conventionnels. Aujourd’hui le rapport s’est inversé. Quand on sait toutes les questions qui se posent sur les risques économiques du non conventionnel, cela pose vraiment des questions sur la viabilité de l’économie texane.

Autre exemple : les projections du PIB américain ont été réévaluées à la baisse du fait du climat. La firme Standard & Poors a fait grand cas de l’intégration du climat dans ses analyses, et pourtant ils n’incluent – comme nous le faisons – ce risque pour le risque souverain. Or, la Californie est dans un état extrêmement préoccupant de sécheresse.

Le sujet ne perd donc pas en pertinence, mais gagne en acuité, et il y a une conscience qui commence à progresser. Même s’il n’y a pas forcément le temps et les moyens chez les acteurs des affaires financières de comprendre.

Mine à ciel ouvert de charbon en Chine

Mine à ciel ouvert de charbon en Chine

consoGlobe – Justement, les modes de réflexion et d’analyse sont-ils en train de changer dans les milieux financiers pour intégrer ces risques ?

Rodolphe Bocquet – Il y a des acteurs en pointe du secteur, il y a notamment les banques de développement. On travaille notamment beaucoup avec l’Agence Française de Développement (AFD), pour intégrer nos méthodes dans les évaluations du risque pays de l’AFD. On commence à avoir une écoute aussi maintenant chez les acteurs de la finance ‘mainstream, plutôt du côté de la direction des risques, parce que dans les grandes banques de financement, il y a des spécialistes des risques et des macroéconomistes, mais il n’y a pas de croisement des deux.

C’est ce que nous apportons : l’évaluation du risque au niveau macroéconomique. Le problème c’est que le secteur financier est dans une logique de réduction des coûts, donc ces directions d’analyse des risques n’ont pas forcément les moyens de développer de nouveaux outils. En plus d’être sur des arbitrages de court terme plutôt que de long terme.

consoGlobe – Comment voyez-vous la campagne de désinvestissement progresser ?

Rodolphe Bocquet – Il y a deux probèmes : si tout le monde désinvestit du secteur charbonnier, dans un scénario théorique, il n’est pas certain que cela ait des conséquences totalement bénéfiques. La logique binaire pose question. Si on regarde l’Indonésie, c’est difficile d’imaginer comment ils peuvent se passer du charbon.

Quand une nation dispose d’une solution locale, bon marché qui permet de fournir de l’électricité pas chère à ses habitants, je ne vois pas qui aurait envie d’abandonner cette solution au profit d’un intérêt qui est beaucoup plus global.

Du point de vue d’un étudiant américain ou français, c’est peut être possible, mais c’est pareil pour l’Afrique du Sud : quand une nation dispose d’une solution locale, bon marché qui permet de fournir de l’électricité pas chère à ses habitants, je ne vois pas qui aurait envie d’abandonner cette solution au profit d’un intérêt qui est beaucoup plus global. Il faut dans ces négociations [climatiques à la fin de l’année] trouver des mécanismes pour que ces pays, qui ne sont par ailleurs pas les principaux responsables historiques du changement climatique, puissent s’y retrouver.

Autre aspect important pour la pérennité du mouvement : le rapport de l’AIE d’il y a 15 jours sur les technologies de l’énergie le montrait bien : dans leurs deux scénarios 2°C, la capture et le stockage du carbone sont incontournables. Donc, malgré les difficultés technologiques, plutôt que désinvestir de manière unilatérale, il faut aussi penser comment continuer d’investir, mais uniquement dans des projets qui rencontrent les bons standards de performance.

Enfin, dernier point : ce qui est regrettable, c’est que la majeure partie du chemin pour rester en dessous de 2° C de réchauffement climatique, c’est l’efficacité énergétique, et ça, personne n’en parle, le débat est obnubilé par les questions de production d’énergie.

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Stephen Boucher est anciennement directeur de programme à la Fondation européenne pour le Climat (European Climate Foundation), où il était responsable des...

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